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RÉFLEXIONS SUR LES ÉLOGES.

Newton, que Tallard à côté de Vauban. Les hommes médiocres peuvent être élevés par l’orateur un peu au-dessus de leur place, mais les grands hommes gardent toujours la leur.

Quoi qu’il en soit, nous espérons que les gens de lettres qui sont l’objet des éloges suivans ne paraîtront pas indignes de l’hommage que nous leur rendons. On verra un des plus grands mathématiciens de son siècle, un philosophe pratique du premier ordre, un sage législateur du genre humain, un grammairien de génie ; enfin, ce qui est presque aussi rare, et peut-être plus estimable, un théologien tolérant et modéra, etc., etc.

C’est par les actions qu’il faut louer ceux qui le méritent ; l’éloge d’un homme de lettres doit donc être le récit de ses travaux. Mais il est peut-être aussi utile de faire connaître ce qu’il a été, et de peindre l’homme en même temps que l’écrivain, au risque de changer quelquefois le panégyrique en histoire. En montrant d’un côté aux lecteurs instruits ce que les sciences ou les lettres doivent à celui qu’on loue, le point ou il les a trouvées, et celui où il les a laissées par ses veilles, on intéressera de l’autre les lecteurs philosophes par le contraste ou par l’accord de ses écrits et de ses mœurs. Le caractère des hommes célèbres n’est pas moins digne de fixer nos regards que leurs talens ; cette règle a cependant quelques restrictions. L’analyse des écrits est indispensable dans l’éloge historique d’un homme de lettres ; à l’égard du caractère et des mœurs, s’il est du devoir de l’historien de ne pas cacher les défauts qui font rentrer les gens de lettres dans la classe ordinaire de l’humanité, il est encore plus nécessaire de tirer le rideau sur les vices qui ont quelquefois terni l’éclat des talens. Le but des éloges littéraires est de rendre les lettres respectables, et non de les avilir. Si donc par un malheur qui n’est pas sans exemple, la conduite a déshonoré les ouvrages, quel parti prendre ? louer les ouvrages. Et si d’un autre côté la conduite est sans reproche, et les ouvrages sans mérite, que dire alors ? se taire. On oublie qu’on doit parler d’un homme de lettres, ou plutôt on en fait indirectement la satire, quand on se borne à célébrer en lui l’homme vertueux, titre très-estimable dans la société, mais très-peu littéraire. Qpe penserait-on d’un général d’armée, dans l’éloge duquel on ne trouverait ni batailles gagnées ni villes prises ?

C’est apparemment par cette raison que plusieurs académies n’imposent point au secrétaire la loi rigoureuse de faire l’éloge funèbre de tous les académiciens, l’expérience ayant prouvé que l’intrigue et la faveur ont quelquefois ouvert la porte de ces compagnies à des hommes dont tout l’éloge doit se réduire à la date de leur naissance, de leur réception et de leur mort. Il serait