Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, II.djvu/162

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
151
RÉFLEXIONS

pourtant juste, il serait luénie à souhaiter que la loi dont nous parlons fut établie. Il en résulterait peut-être qu’on apporterait dans le choix des sujets une sévérité plus constante et plus continue ; le secrétaire, et sa compagnie par contre-coup, seraient intéressés à ne se donner pour confrères que des hommes louables.

Le ton d’un éloge historique ne doit être ni celui d’un discours oratoire, ni celui d’une narration aride. Les réflexions philosophiques sont l’âme et la substance de ce genre d’écrits ; tantôt on les entremêlera au récit avec art et brièveté, tantôt elles seront rassemblées et développées dans des morceaux particuliers, où elles formeront comme des masses de lumière qui serviront à éclairer le reste. C’est en cela que l’illustre secrétaire de l’Académie des sciences a surtout excellé ; c’est par là qu’il fera principalement époque dans l’histoire de la philosophie ; c’est par là enfin qu’il a rendu si dangereuse à occuper aujourd’hui la place qu’il a remplie avec tant de succès. Si on peut lui reprocher de légers défauts (et pourquoi ne hasarderions-nous pas une critique qui ne le touche plus, et qui ne saurait effleurer sa gloire ?) c’est quelquefois trop de familiarité dans le style, quelquefois trop de recherche et de raffinement dans les idées ; ici une sorte d’affectation à montrer en petit les grandes choses, là quelques détails puérils, peu dignes de la gravité d’un ouvrage philosophique. Voilà pourtant, qui le croirait ! en quoi la plupart de nos faiseurs d’éloges ont cherché à lui ressembler ; ils n’ont pris du style de Fontenelle que ces taches légères, sans en imiter la précision, la lumière et l’élégance. Ils n’ont pas senti que si les défauts de cet écrivain célèbre blessent moins chez lui qu’ils ne feraient ailleurs, c’est non-seulement par les beautés, tantôt frappantes, tantôt fines qui les effacent, mais parce qu’on sent que ces défauts sont naturels en lui, et que le propre du naturel, quand il ne déplaît pas, est au moins d’obtenir grâce. Son genre d’écrire lui appartient absolument, et ne peut passer, sans y perdre, par une autre plume ; c’est une liqueur qui ne doit jamais changer de vase. Il a eu, comme tous les bons écrivains, le style de sa pensée ; ce style, quelquefois négligé, mais toujours original et simple, ne peut représenter fidèlement que, 1e genre d’esprit qu’il avait reçu de la nature, et ne sera que le masque d’un autre. Or le style n’est agréable qu’autant qu’il est l’image naïve du genre d’esprit de l’auteur, et c’est à quoi le lecteur ne se méprend guère, comme on juge qu’un portrait ressemble sans avoir vu l’original. Ainsi, pour obtenir quelque place après Fontenelle dans di carrière qu’il a si glorieusement parcourue, il faut nécessairement prendre un