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ÉLOGE

sions ne pouvaient les offenser de sa part ; ils devaient être Lien plus flattés de se croire les amis de leur souverain, qu’humilies de s’entendre rappeler une dépendance dont ils se trouvaient honorés ; et la vanité était en eux plus chatouilleuse que l’orgueil. Loin que le président Rose mérite le reproche d’avoir composé cette lettre, on assure qu’il persuada au roi de ne la pas envoyer ; mais il s’y prit, dit-on, avec la plus heureuse adresse. Il n’eut garde de faire sentir au mcnlrc que son amitié n’avait pas eu le tact assez délicat, ni la main assez légère ; il Sut au contraire le flatter habilement et sans affectation, en lui demandant par forme de doute, si dans ce compliment, d’ailleurs plein de bonté, il n’y avait pas trop d’esprit et de finesse, et si la majesté du trône n’exigeait pas un tour plus grave et plus simple. Le roi approuva cet avis, et supprima par un principe de bon goût, la lettre que peut-être il aurait dû supprimer par un autre motif (i).

Ce courtisan fin et délié, qui par son caractère souple et son esprit aimable, plaisait beaucoup à Louis XîY, n’usa jamais de sa faveur que pour obliger tous ceux qui en avaient besoin. Il savait surtout, ce qu’on ne sait guère à la cour, défendre ses amis accusés et absens ; mais il joignait au courage de les défendre, l’art nécessaire pour ne se point compromettre, et il en donna la preuve dans une occasion délicate. Yoici de quelle manière l’abbé d’Olivet, dans une lettre à M. le président Bouhier, raconte cette anecdote curieuse.

Vittorio Siri (2), que vous connaissez par son Mercurio et par ses Memorie recondite, demeurait, sur la jin de ses jours y à Chaillot, oii il vivait d’une pension considérable que le cardinal Mazarin lui avait fait donner. Sa maison était le rendez-vous des politiques, et surtout de ministres étrangers, oui ne manquaient guère de s’arrêter chez lui au j^etour de Versailles, les jours qu’ils j^ allaient pour leur audience. Un jour, plusieurs de ces ministres, s’j~ trouvant rassemblés, l’un d’eux mit la conversation sur la campagne de Flandre, dont il paraissait renvoyer toute la gloire à M. de Louvois. J^ittorio, qui haïssait ce ministre, interrompit V éloge ; et avec son jargon, qui n’était ni italien, ni français, monsu, lui dit-il, vous nous faites ici de votre monsu Louvet, il piu grand homme qui soit dans l’Europe ; contentez-vous de nous le donner per il piu grand commis, et si vous y ajoutez quelque chose, per il piu grand brutal. J^ous jugez bien, monsieur, que des le lendemain M. de Louvois fut instruit, et ne manqua pas de se plaindre au roi. Ce grand prince, qui eut toujours pour maxime, que s’attaquer à ceux qu’il honorait de sa coiifiance, c’était lui man--