Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, II.djvu/18

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que je les explique. Il en est de même de ces hommes qui rendent si bien raison des événements passés. Ils pourraient faire un essai infaillible de leurs forces ; ce serait de deviner, par les faits qui sont sous leurs yeux, les révolutions qui doivent en résulter ; de nous dire, par exemple, d’après l’état de l’Europe dans l’année courante, ce qu’il doit être l’année prochaine. Mais il y a apparence qu’ils ne consentiraient pas à cette épreuve ; leur sagacité se trouverait trop en défaut, et leur métaphysique trop exposée ; après avoir prédit ce qui est arrivé, ils prédiraient ce qui n’arriverait pas.

De toutes les façons d’écrire l’histoire, celle qui mérite peut-être plus de confiance, par la simplicité qui en doit être l’âme, est celle des mémoires particuliers et des lettres. Négligence de style, désordre, longueurs, petits détails, tout s’y pardonne, pourvu que l’air de vérité s’y trouve ; et cet air de vérité ne peut guère manquer d’y être, si l’auteur des mémoires a été acteur ou témoin, s’il ne les a point écrits pour être publiés de son vivant, et surtout si les lettres n’ont point été faites pour être données au public ; car malheur aux lettres qui ne sont écrites à personne qu’à ceux qui doivent les lire imprimées. Exceptons-en quelques romans anglais par lettres, où l’auteur ne paraît pas avoir pensé qu’il aurait des lecteurs ; mais convenons aussi que souvent il paraît l’oublier trop, et qu’à force de vouloir rendre ses lettres vraies par les détails et les écarts, il les rend quelquefois insupportables. La nature est bonne à imiter, mais non pas jusqu’à l’ennui.

Au risque d’essuyer quelques fines plaisanteries de la part de ceux qui rejettent d’avance tout ce qui ne ressemble pas à ce qu’ils connaissent, oserais-je proposer ici une manière d’enseigner l’histoire, dont j’ai touché un mot ailleurs, et qui aurait, ce me semble, beaucoup d’avantages ? Ce serait de l’enseigner à rebours, en commençant par les temps les plus proches de nous, et finissant par les plus reculés. Les détails, et si on peut parler ainsi, le volume des faits décroîtraient à mesure qu’ils s’éloigneraient, et qu’ils seraient par conséquent moins certains et moins intéressants. Un tel ouvrage serait fort utile, surtout aux enfants, dont la mémoire ne se trouverait point surchargée d’abord par des faits et des noms barbares, et rebutée d’avance sur ceux qu’il leur importe le plus de savoir ; ils n’apprendraient pas les noms de Dagobert et de Chilpéric avant ceux de Henri IV et de Louis XIV.

Mais pourquoi bornerait-on l’étude de l’histoire à n’être pour les enfants qu’un exercice de mémoire ? Pourquoi n’en ferait-on pas le meilleur catéchisme de morale qu’on pût leur donner, en