Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, II.djvu/17

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autres ce qu’on doit dire. Ils écrivent l’histoire, comme la plupart des hommes la lisent, pour n’être pas obligé de penser, et se font auteurs à peu de frais.

Il est une manière de présenter l’histoire, moins austère à la vérité que celle des abrégés chronologiques, mais qui en laissant à l’écrivain plus de liberté, lui donne aussi plus de licence : c’est l’histoire universelle et abrégée, où l’auteur, sans détailler les faits, en offre le résumé général, rend ce résumé intéressant par les réflexions qu’il y joint ; en un mot, met sous les yeux du lecteur un tableau réduit et colorié des événements, chargé de figures peintes en raccourci, mais animées. Heureux l’historien, si dans ce genre d’écrire séduisant, mais dangereux, tandis que l’éloquence anime sa plume, la philosophie la conduit ; si les faits ne reçoivent point leur teinture de la manière de penser particulière à l’écrivain ; si cette teinture ne leur donne pas une couleur fausse et monotone ; s’il ne rend pas son tableau infidèle en voulant le rendre brillant, confus en voulant le rendre riche, fatigant en voulant le rendre rapide !

Soit que les anciens aient redouté les écueils de ce genre, soit qu’ils n’en aient pas eu l’idée, ils ne nous ont laissé sur ce point aucun modèle. Plus hardie et plus heureuse, la France nous en a fourni deux, supérieurs chacun dans leur manière de peindre ; l’un par une touche énergique et mâle, l’autre par un coloris brillant et facile ; tous les deux ayant saisi le vrai caractère de ces deux manières opposées ; tous deux dignes de tenir les lecteurs partagés sur celle qui mérite la préférence ; mais tous deux destinés à faire bien de mauvais imitateurs.

Un autre genre que les anciens paraissent n’avoir point connu, est l’histoire approfondie et raisonnée, qui a pour but de développer dans leur principe les causes de l’accroissement et de la décadence des Empires. Nous avons en ce genre d’excellents modèles ; le nom de Montesquieu dispense d’en citer d’autres. Il faut avouer pourtant que dans ces matières obscures, où les causes et les effets sont vus de si loin, l’usage de l’esprit philosophique est tout à côté de l’abus. Aussi, combien de raisonnements creux n’a-t-il pas produit sur les causes des révolutions des États ? On ne peut mieux, ce me semble, comparer ces raisonnements, qu’à ceux par lesquels tant de physiciens ont expliqué les phénomènes de la nature. Si ces phénomènes étaient tout autre qu’ils ne sont, on les expliquerait tout aussi bien, et souvent mieux. Un de ces savants, que rien n’embarrasse, avait fait de cette manière une Chimie démontrée ; rien n’y manquait que la vérité des faits ; on lui fit cette petite objection : Hé bien, répondit-il, apprenez-moi donc les faits tels qu’ils sont, afin