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DE CLERMONT-TONNERRE.

les Français, par sa fondation académique, les transports dont il était si vivement animé. Mais enfin la compagnie, après avoir satisfait, durant près de cent ans, à l’intention si louable de M. de Clermont-Tonnerre, après avoir, si l’on peut parler ainsi, étouffé sous les lauriers la cendre de Louis-le-(irand, a jugé qu’il était temps d’abandonner à la véracité de l’histoire le portrait d’un prince trop souvent loué par la flatterie, et a résolu de laisser presque toujours aux jeunes poètes le choix des sujets qu’ils voudraient traiter.

Louis XIV fut pendant toute sa vie, non-seulement l’objet, mais souvent le juge de^ éloges poétiques, fondés à l’Académie par l’évêque de Nojon. Si dans la pièce qui paraissait digne du prix, soit pour la finesse, soit pour la masse des louanges, il se trouvait quelque trait, ou hasardé, ou simplement équivoque, le fondateur avait, dans ce cas, imposé à ses confrères une loi, qu’ils n’auraient pas manqué de s’imposer eux-mêmes, celle de consulter le monarque sur l’endroit douteux ; et l’on sent bien que le consulter, c’était s’obliger d’avance à suivre sa décision. L’Académie faisait plus ; avant de publier le sujet du prix de poésie, elle avait soin de mettre ce sujet sous les yeux de son protecteur, pour obtenir qu’il l’agréât. Cette précaution avait encore été expressément recommandée par l’évêque de Noyon ; et ce prélat, une année avant sa mort, eut occasion d’éprouver combien la précaution était sage et nécessaire. En 1700, l’Académie avait dessein de donner le sujet suivant : Que le roi possède dans un degré si éminent toutes les vertus, quil est impossible de juger quelle est celle qui fait son principal caractère. Le roi, tout aguerri qu’il était à l’adulation, trouva, ditun célèbre écrivain, ce coup d’encensoir assommant, et défendit que le sujet fut proposé. La compagnie, craignant presque autant d’avoir déplu au monarque, que si elle l’avait offensé, prit le parti, par le conseil de M. de Clermont-Tonnerre, d’adoucir un peu l’éloge de la manière suivante : Que le roi réunit en sa personne tant de grandes qualités, quil est difficile de juger quelle est celle qui fait son principal caractère. Le roi jugea la dose d’encens encore trop forte, quoiqu’on en eût ôté quelques grains ; enfin l’Académie et l’évoque de Noyon, très-afïligés de se voir si tristement éconduits dans les témoignages redoublés de leur zèle, proposèrent en tremblant ce troisième sujet : Que le roi n est pas moins distingué par les vertus qui font l’honnête homme, que par celles qui font les grands rois ; et la modestie du monarque, lasse apparemment de lutter, consentit au nouvel hommage que lui offraient des adorateurs si opiniâtres (6).