Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, II.djvu/68

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sous, leurs biens aliénés et vendus ; la plupart des parlements, les uns plus tôt, les autres plus tard, les ont traités à peu près de même, quelques uns avaient mis plus de rigueur encore dans leurs jugements, et les avaient chassés sans autre forme de procès.

Ils vécurent donc dispersés çà et là et portant l’habit séculier ; mais ils restaient toujours à la cour, et même y étaient en plus grand nombre que jamais ; ils semblaient de là braver doucement leurs ennemis, et attendre pour se relever un temps plus favorable. On disait assez hautement que ces renards n’étaient pas détruits si l’on ne venait à bout de les enfumer dans le terrier où ils se croyaient à l’abri ; et qu’ils ne seraient pas martyrs tant qu’ils seraient confesseurs. Ils sont bien malades, ajoutait-on, peut-être mourants, mais le pouls leur bat encore. On les croyait si peu anéantis, malgré leur dispersion, qu’un supérieur de séminaire à qui on offrit leur maison du noviciat, répondit qu’il n’en voulait pas, parce qu’il avait peur des revenants.

Ils n’étaient pourtant pas loin du moment de leur expulsion totale ; ce fut encore au zèle inconsidéré de leurs amis qu’ils en eurent l’obligation. Un partisan forcené de la société publia, pour la défendre, un écrit violent, et injurieux aux magistrats, qui avait pour titre, il est temps de parler. Quelqu’un dit alors que la réponse des magistrats serait, il est temps de partir. Ils se trompaient d’autant moins, qu’un nouveau grief vint combler la mesure. L’archevêque dont nous avons déjà tant parlé, croyait les droits de l’église violés par les arrêts du parlement contre des vœux contractés à la face des autels ; il donna en faveur des Jésuites un mandement qui acheva d’indisposer les magistrats ; quelques-uns de ces pères furent accusés d’avoir colporté le mandement, quelques-unes de leurs dévotes de l’avoir débité ; ce fut comme le signal du dernier coup porté à la société entière. Le parlement ordonna que dans huitaine, tout jésuite profès ou non profès, qui voudrait rester dans le royaume, ferait serment de renoncer à l’institut. Le terme était court ; on ne voulait pas leur donner le temps de délibérer : on craignait qu’ils ne tinssent entre eux des assemblées secrètes ; qu’ils n’écrivissent à leur général pour lui demander la permission de céder au temps ; qu’à la faveur des restrictions mentales, ils ne prêtassent le serment qu’on exigeait ; qu’à l’abri de ce serment ils ne restassent en France pour y attendre un meilleur temps ; qu’ils ne pratiquassent enfin la maxime d’Acomat dans Bajazet :

Promettez ; affranchi du péril qui vous presse.
Vous verrez de quel poids sera votre promesse.

Il est certain que les Jésuites en signant le serment qu’on leur