Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, II.djvu/96

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le joug de l’hérétique Henri IV. Ils faisaient alors observer aux peuples, que quand Dieu donna aux Juifs un roi sur leurs instances réitérées, il les avertit bien (Liv. I des Rois, chap. 8.) qu’ils ne savaient pas ce qu’ils demandaient ; qu’ils se préparaient un fléau ; que ce roi leur enlèverait leurs femmes, leurs filles, leurs bestiaux et leurs moissons ; ils remarquaient que si Dieu céda sur ce point aux prières des Juifs, ce fut uniquement pour les punir de ce qu’ils désiraient un maître mortel, et de ce qu’ils se lassaient d’être immédiatement sous la domination divine. C’est ainsi, monsieur, que les Jésuites ont déjà prêché il y a deux cents ans contre l’autorité royale[1], en appliquant à tous les monarques ce que l’Écriture ne dit que d’un seul ; c’est ainsi qu’ils prêcheront encore contre cette même autorité, dès qu’ils croiront trouver des circonstances favorables, d’où ils concluront que la seule autorité sur la terre qui vienne de Dieu, et la seule par conséquent à laquelle les hommes doivent l’obéissance, est l’autorité spirituelle. Tel est, monsieur, l’abus que ces pères oseront faire en temps et lieu de l’Écriture et du passage de S. Paul. Il me semble, au contraire, que le sens donné par les encyclopédistes et par les évêques à ce fameux passage, est assez propre, s’il est bien entendu, à assurer l’autorité des monarques contre les usurpations de toute puissance étrangère, et

  1. Voyez les écrits des Jésuites du temps de la ligue, et entre autres le livre de Mariana, de Rege et regis Institutione ; il est tout fondé sur ce principe, que l’autorité des rois ne vient point de Dieu, mais des hommes ; d’où il conclut qu’on peut et qu’on doit assassiner un prince rebelle à l’autorité de Dieu, ou, ce qui revient au même, de l’Église. Voyez aussi les ouvrages du jésuite Salmeron, qui prétend que, dans le passage dont il s’agit, S. Paul n’a voulu que faire sa cour aux puissances de la terre, et les ménager en faveur du christianisme naissant.

    Nous croyons devoir remarquer que, dans l’endroit du premier livre des Rois, rapporté ci-dessus, et si mal interprété par les Jésuites au désavantage de l’autorité royale, la Vulgate se sert d’un terme dont les tyrans pourraient abuser ; ce sera, dit-elle, verset ii, le droit du roi de prendre vos enfants, vos femmes, etc. Ce droit ne doit s’entendre évidemment que d’un droit injuste, d’un droit barbare, que jamais un roi digne de l’être ne pourra s’attribuer, encore moins regarder comme venant de Dieu. Nous pourrions ajouter ici, sur le véritable droit des princes, plusieurs réflexions, qui seraient sûrement approuvées et signées de tous les monarques vertueux et justes ; mais elles nous écarteraient trop de notre sujet. Nous dirons seulement que l’auteur d’un ouvrage moderne, qui a pour titre, de l’Autorité du Clergé, nous paraît avoir bien mal entendu et commenté ce passage, p. 145 et suivantes de son premier volume. Cet auteur ajoute, p. 144, que, quand les rois abusent de leur puissance, il est juste de n’y point consentir, et de ne pas se conformer à l’abus ; mais que rien ne doit faire perdre la soumission à l’autorité. On n’entend pas ce que cela veut dire ; car ne pas se conformer à l’abus, c’est résister à l’autorité qui abuse. On ne saurait s’exprimer avec trop de précision dans ces matières délicates, où un mot pour un autre peut donner lieu à des conséquences dangereuses.