Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, II.djvu/97

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même de la puissance spirituelle. En effet, l’Encyclopédie par sa traduction reconnaît pour émanée de Dieu, non la puissance spirituelle seulement, mais toute puissance bien ordonnée ; c’est-à-dire, fondée sur les lois de l’État, telle, par exemple, que la puissance de nos rois. Dire que cette traduction peut fournir un prétexte de se révolter contre l’autorité la plus légitime, lorsqu’on ne la croira pas bien ordonnée, ce serait imputer à mille autres passages de l’Écriture les conséquences abusives qu’on peut en déduire, et ignorer les marques évidentes auxquelles tout citoyen vertueux et sensé reconnaîtra sur-le-champ la puissance légitime ; cette condition essentielle, d’être bien ordonnée, exclut même l’autorité ecclésiastique, dès qu’elle voudra s’étendre au-delà de ses bornes, et envahir les droits de l’autorité temporelle. C’est sans doute ce que l’assemblée du clergé a senti ; elle est trop attachée aux maximes du royaume pour penser autrement : et si elle a condamné l’Encyclopédie dans ces mêmes actes où elle se conforme si exactement à une des assertions les plus censurées de ce fameux dictionnaire, il faut croire que ce n’est pas pour la traduction que les encyclopédistes ont donnée du passage de S. Paul. Je dirai plus ; si la traduction est susceptible d’un sens équivoque, ce serait plutôt dans les actes du clergé que dans l’Encyclopédie ; car on sait que nos magistrats ont soupçonné les évêques de vouloir, par leur interprétation, se soustraire à l’autorité séculière dans l’administration des sacrements ; et c’est de quoi on n’accusera sûrement pas les encyclopédistes. Il est vrai, car nous ne devons rien dissimuler, que le conseil d’état paraît n’avoir pas supposé cette intention aux évêques, et que par l’arrêt qu’il a rendu en faveur des actes, il semble avoir approuvé la traduction du clergé, et par conséquent toléré du moins celle de l’Encyclopédie. Quoi qu’il en soit, je ne prétends point, encore une fois, garantir cette interprétation ; je dis seulement, et je ne crois pas trop hasarder, qu’elle me paraît préférable au commentaire jésuitique que je viens d’exposer un peu plus haut. Mais laissons là cette discussion délicate, qui n’a même été déjà que trop longue, et reprenons les Jésuites.

La liberté avec laquelle je viens, monsieur, de vous développer les vues secrètes de ces pères par rapport à l’autorité royale, les mécontentera peut-être eux et leurs partisans, beaucoup plus que n’a fait mon ouvrage ; mais la philosophie, calomnieusement accusée de nos jours de vouloir élever une barrière entre les souverains et les peuples, n’a point de plus grand intérêt que de convaincre ses lâches ennemis du projet qu’ils ne rougissent pas de lui imputer ; et je ne puis avoir aucun scrupule de faire