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DE BERNOULLI.

rite fait toujours des ennemis, et par conséquent noire géomètre en avait. Ne pouvant attaquer le savant, ils eurent recours à une ressource assez ordinaire à l’envie ; ils cherchèrent à rendre le chrétien suspect. Plus jaloux de sa supériorité que des intérêts de la religion, car il n’est pas nécessaire d’en avoir pour la faire servir de masque à la haine, ils prétendirent que l’opinion de Bernoulli était dangereuse, contraire au dogme de la résurrection, et favorable aux objections des sociniens. Bernoulli n’eut pas de peine à montrer le ridicule d’une imputation si odieuse, et s’il traita ses adversaires avec toute la franchise helvétique et géométrique, il faut a’swuer que jamais indignation ne fut plus juste.

L’accusation que Bernoulli eut à soutenir dans cette occasion, lui avait été intentée par les théologiens calvinistes de Groningue où il était professeur. La conduite qu’il tint avec eux mérite de servir de modèle à tous les gens de lettres injustement attaqués sur un point si important ; et nous croyons aussi que cette circonstance de son éloge doit nous arrêter beaucoup plus longtemps qu’aucun autre. Il vivait dans un pays où le gouvernement, occupé pour lors d’affaires publiques très-importantes, et tolérant d’ailleurs par nécessité, n’examinait guère si un savant, chargé d’enseigner à quelques élèves le calcul différentiel et intégral, croyait ou ne croyait pas à la résurrection des morts : il ne pouvait se dissimuler, quand il l’aurait voulu, combien ce gouvernement avait d’intérêt de ménager un homme aussi utile que lui par les étrangers qu’il attirait à Groningue ; et rien n’était plus facile, avec moins de probité, que d’abuser de ces avantages : il avait le bonheur enfin de se trouver au milieu d’une république libre, où le bras séculier ne sert pas l’empressement des controversistes avec tout le zèle qu’ils ont coutume de désirer, et avec la docilité qu’ils ont le bonheur ou le malheur de rencontrer dans des climats plus méridionaux. Malgré ces considérations, il crut ne devoir pas garder le silence sur des reproches, trop ridicules sans doute en eux-mêmes pour qu’il les réfutât sérieusement, mais en même temps trop odieux pour qu’il ne cherchât pas à s’en laver. La manière dont il se défendit lui donna un nouveau mérite, et fut digne des motifs qui l’y déterminèrent. Il avait beaucoup d’avantage sans doute contre les théologiens hérétiques qui l’attaquaient. Ces docteurs imbéciles, divisés entre eux et également dans l’erreur sur les points les plus essentiels de cette religion qu’ils osaient enseigner aux autres, et qu’ils l’accusaient de renverser ; ces sectaires, dont les uns anéantissaient la toute-puissance divine et les autres la liberté humaine, donnaient assurément beaucoup de prise à qui n’eût clé que