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ÉLOGE

enfin de la gloire si recherchée sur les bancs, non pas d’avoir raison, c’est rarement ce qu’on ambitionne dans cette guerre de mots et de chicane, mais de réduire au silence son orgueilleux adversaire.

Sa mère, dont il était adoré, car son esprit et sa figure étaient également aimables, avait cru augmenter les agrémens de cette figure, en lui donnant dans son enfance des habits qui n’étaient pas ceux de son sexe, encore moins de son état, et que la frivole indulgence de la nation française l’accoutuma trop à porter[1]. L’espèce de goût qu’il conserva trop long-temps pour un travestissement si étrange et si blâmable, est une triste preuve du malheureux empire que conservent sur certains esprits les premières sottises dont une mauvaise éducation les a infectés. Nous épargnons là-dessus un plus long détail à sa mémoire, et surtout à la grave assemblée qui nous écoute[2] ; mais plus les écarts qu’il s’est permis à ce sujet ont été publics, plus nous sommes obligés d’en effacer l’impression afiligeante par un fait luoins connu que sa faute, par l’aveu consolant des regrets qu’il en témoigna dans ses derniers momens. En écrivant cet endroit de sa vie, nous avons cru voir son ombre consternée demander grâce à son historien, et lui répéter ces parolesde repentir et de douleur, qu’il adressait en mourant au souverain juge : Delicta juventutis meœ et ignorantias mens ne memineris (Ne vous ressouvenez point des égaremens et des erreurs de ma jeunesse).

L’abbé de Choisy, parvenu à l’âge de trente ans, et un peu confus de la vie qu’il avait menée jusqu’alors, car ses remords se bornaient encore à la honte, résolut de passer quelque temps hors de France, pour effacer le souvenir de ses premières années. Il alla en Italie, comme conclaviste du cardinal de Bouillon, après la mort de Clément X. Il se trouva à l’élection de son successeur, le cardinal Odescalchi, Milanais, qui prit le nom d’Innocent XI ; ce fut même en partie à l’éloquence de l’abbé de Choisy que ce pape dut son exaltation. Louis XIV s’y était d’abord fortement opposé, et l’événement fit voir qu’il aurait eu raison de ne point changer d’avis, Innocent XI ayant marqué, lorsqu’il fut pape, le dévouement le plus servile pour la maison d’Autriche, alors notre implacable rivale. Le roi de France n’accorda son consentement à l’élection que dans un moment de piété ou de scrupule ; les cardinaux français, qui connaissaient l’esprit souple et insinuant de l’abbé de Choisy, se servirent de lui pour écrire à leur souverain une lettre pressante, où ils représentaient au fils aîné de l’Église les grandes vertus d’Odes-

1. Cet éloge a été lu le 25 août 1777.

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