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DE L’ABBÉ DE CHOISY.

nos absurdes aïeux, et qu’à la honte même de notre siècle, qui prétend avoir secoué tant de préjugés, on trouverait encore secrètement, mais fortement établie dans plus d’une tête importante. C’était en conséquence de ce grand principe, que madame de Choisy exhortait ses enfans à ne voir que des gens de qualité, pour n’être point glorieux, disait-elle, et pour s’accoutumer de bonne heure à cette complaisance qui fait aimer de tout le monde. Elle aurait dû ajouter à ce conseil celui de ne pas confondre auprès des grands les égards qu’on ne doit jamais leur refuser, avec l’adulation qu’on ne doit à personne ; mais il est à présumer que cette mère si peu glorieuse, n’était pas fort délicate sur la distinction de la déférence et de la bassesse ; distinction que les âmes élevées sentent d’elles-mêmes, et qu’en vain on voudrait apprendre aux autres.

Le jeune abbé de Choisy, car sa famille avait résolu de bonne heure d’en faire un prêtre, profita si bien des conseils de sa mère, qu’il se vantait de n’avoir jamais vu un homme de robe, excepté ses parens, qu’il ne voyait même que par bienséance, et en se reprochant les momens qu’il leur donnait. Il passait sa vie, nous empruntons ici ses propres paroles, ou dans son cabinet avec ses livres, ou à la cour avec ses amis, car il croyait qu’on avait des amis à la cour. Mais quelque à plaindre qu’il fût dans son erreur, il avait tant de plaisir à se dire l’ami d’un ministre ou d’un courtisan, et ce titre, quand on le lui donnait, chatouillait si agréablement ses oreilles, qu’il y aurait eu de la cruauté à troubler son amour-propre dans cette chétive jouissance, et à lui envier une satisfaction qui ne faisait de mal à personne.

Quoiqu’il menât dans le monde une vie assez dissipée, il se crut obligé, d’après la décision de sa famille, de remplir sa vocation ecclésiastique, qui néanmoins ne paraissait pas fort clairement indiquée, soit par son goût, soit par sa manière de vivre et de penser. Il se mit donc sur les bancs de Sorbonne, et y fit avec distinction les exercices ordinaires ; l’abbé Le Tellier, depuis archevêque de Reims, se trouvait en licence dans le même temps, et venait argumenter à toutes les thèses, oii, par l’opiniâtreté de son ergotisme, il se rendait la terreur du soutenant, et souvent même du docteur qui présidait. L’archevêque de Paris, Péréfixe, devait présider aune thèse de l’abbé de Choisy ; et ne voulant pas courir le risque du combat avec le redoutable abbé Le Tellier, prévint le soutenant qu’il n’ouvrirait pas la bouche, et le laisserait se défendre comme il pourrait. Le jeune bachelier y consentit, se battit à outrance contre l’intrépide argumentateur, lui disputa jusqu’à la force des poumons, et jouit