Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, III.djvu/365

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
353
DE BERNOULLI.

le défi. Ainsi Leibnitz n’avait pas été fort heureux dans le piège qu’il avait choisi pour embarrasser ses adversaires ; et la grande dispute sur l’inventeur du calcul différentiel eut été par là décidée contre lui, si la solution bonne ou mauvaise d’un problème isolé suffît pour décider des questions pareilles.

Leibnitz étant mort en 1716, Bernoulli continua la dispute avec l’Angleterre ; il proposa de nouveau aux savans de cette nation le problème des trajectoires, mais avec des conditions qui le rendaient beaucoup plus difficile ; et ceux-ci à leur toui’lui en proposèrent d’autres qui ne l’étaient pas moins. On peut juger par la force descombattans de la vigueur des coups qu’ils se portaient. La fraude même parut un peu s’y mêler ; car dans le cours de cette dispute, Keill ayant proposé à Bernoulli un problème très-difficile, celui-ci en trouva bientôt la solution, et somma en vain son adversaire de montrer la sienne. Il était question de déterminer la courbe décrite par un projectile dans un milieu résistant, suivant une certaine loi qui renfermait une infinité de cas, et dont un seul jusqu’alors avait été résolu.

De tous les géomètres anglais qui parurent dans la lice en cette occasion, il n’y en avait point de plus célèbre que Taylor, si connu par son ouvrage intitulé : Methodus incrementorwn directa et inversa, ouvrage original et très-ingénieux, mais difficile encore aujourd’hui, même pour les plus habiles. Taylor avait trouvé à peu près en même temps que Bernoulli, et par une méthode semblable, la solution du problème des centres d’oscillation ; l’un et l’autre se contestèrent la priorité de la découverte, et personne ne leur en eut refusé la propriété. Au reste, nous devons dire à l’honneur de Taylor, que dans cette dispute il ne sortit jamais des bornes littéraires. Bernoulli, attaqué par toute une nation, jaloux de soutenir l’honneur de la sienne, et plus occupé du fond de la dispute que de la forme, n’était pas si scrupuleux envers les géomètres anglais. Peut-être était-il excusable à l’égard de Keill, qui avait en quelque manière violé les règles du droit des gens, et dont les procédés n’étaient pas moins blâmables que les discours. Pour Taylor, il ne répondit aux injures que par des plaintes fort modérées aux journalistes de Leipsick, sur la liberté avec laquelle on traitait sa réputation dans leur journal. Les différentes pièces de ce procès se trouvent dans ce recueil (année 1715 et suiv.), et elles sont infiniment utiles à ceux qui veulent pénétrer dans les mystères de la plus haute géométrie. Mais pourquoi font-elles plus d’honneur à l’esprit qu’au cœur humain ?

On nous demandera sans doute le but et l’utilité de toutes ces sublimes recherches. Nous ne répondrons point à cette question

3. 23