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ÉLOGE

gueux ministre Jurieu. Ce prédicant fanatique repoussa avec sa violence et son absurdité ordinaire les traits que l’abbé de Choisy avait cru devoir lancer contre la secte protestante ; secte infortunée, qui, déjà trop faible contre la réunion qu’on avait faite des missionnaires soldats aux missionnaires prêtres pour la réduire et la confondre, joignait encore à ce malheur celui d’avoir un visionnaire jîour défenseur et pour apôtre. L’auteur critiqué, et, ce qui était plus fâcheux pour ce censeur atrabilaire, le public des deux religions laissa Jurieu exhaler son fiel et débiter ses folies, et l’abbé de Choisy eut le bonheur de n’avoir point d’autre adversaire.

L’incrédule, revenu de ces erreurs, exécuta le précepte de l’Évangile : Quand vous serez converti, songez à convertir vos frères. Il se sentit animé du zèle le plus ardent pour la propagation de la foi, et l’occasion vint heureusement s’offrir à son zèle. Les jésuites, qui, comme l’on sait, gouvernaient alors la conscience du roi, et qui ne gouvernent plus celle de personne, profitant, pour l’avantage de leur société, de l’amour sincère que Louis XIV marquait pour la religion, persuadèrent à ce prince que le roi de Siam montrait le plus grand désir de se faire chrétien, et proposèrent d’employer à cette bonne œuvre un de leurs pères, nommé Tachard, missionnaire, à ce qu’ils disaient, des plus habiles, mais, ce qu’ils ne disaient pas, intrigant plus habile encore. Pour donner à ce triomphe de la religion, dont ils se rendaient garans, tout l’éclat que méritait un si grand intérêt, ils engagèrent le monarque français à envoyer au monarque asiatique une ambassade solennelle, à la suite de laquelle le père Tachard se trouverait, pour catéchiser et convertir le prince. L’abbé de Choisy, dont la ferveur était sincère, et qui crut de bonne foi cette mission sérieuse, désira de contribuer à une conversion si éclatante, et de partager l’honneur de cette brillante victoire ; il demanda instamment d’être envoyé à Siam, pour expier, disait-il, par la conquête de l’auguste prosélyte, les écarts de sa vie passée. Le roi très-chrétien se prêta à des désirs si louables ; et comme le chevalier de Chaumont était déjà nommé ambassadeur, l’abbé de Choisy lui fut adjoint avec le titre, jusqu^alors inconnu, de coadjuteur d’ambassade.

Pendant la route il essaya de se distraire de l’oisiveté du navire, en écrivant ce journal de son voyage qu’on lit encore tous les jours avec plaisir[1]. Cet ouvrage néanmoins, si même il mérite ce nom, n’est ni instructif, ni utile, ni intéressant par son objet ; l’auteur n’y parle guère que du temps qu’il fait chaque jour, des vents qui soufflent, des tempêtes ou des calmes qu’il

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