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DE L’ABBÉ DE CHOISY.

essuie, et de quelques évenemens très-peu importans arrives sur le vaisseau : cependant il plaît, il amuse, il attache même quelquefois : on voyage avec lui, on est présent à tout ce qu’il raconte ; et quand la lecture est achevée, on regrette que cette longue route ne l’ait pas été davantage. C’est que l’auteur a un mérite infaillible pour être lu, le mérite rare de faire conversation avec son lecteur, d’être pour lui, si on peut parler de la sorte, une compagnie de réserve, toujours prête à lui servir de ressource en quelque situation qu’il se trouve, content ou malheureux, gai ou triste, malade ou en santé. C’est surtout une lecture de convalescent, parce qu’elle donne à l’âme ou plutôt à l’esprit, le degré de mouvement nécessaire pour le bercer légèrement sans le fatiguer. Un roman, une tragédie touchent, mais agitent ; une histoire afflige souvent ; un bon ouvrage de littérature instruit et plaît, mais applique ; le journal de l’abbé de Choisy n’occupe jamais et réveille toujours, sans qu’il en reste néanmoins aucune impression forte ni durable. Le caractère propre des bons écrivains est de faire penser beaucoup, celui de l’abbé de Choisy est d’en distraire, et j^resque d’en empêcher ; mais on lui sait gré de cette distraction, si favorable à la paresse naturelle, et à ce plaisir de végéter doucement, auquel presque tous les hommes se borneraient, s’ils ne craignaient de sentir d’une manière trop pénible l’insipidité de leur existence. On peut comparer le livre dont nous parlons, à ces jeux d’enfant qui faisaient, dit-on, le divertissement du père Malebranche, par cette raison bien digne d’un philosophe, qu’ils lui offraient un délassement nécessaire, sans laisser dans son âme aucune trace dès qu’ils étaient cessés.

Arrivé à Siam, le zélé voyageur sut bientôt à quoi s’en tenir sur le projet de conversion du roi indien, qui n’avait joué cette comédie, dont le père Tachard s’était fait le docteur, que pour attirer dans ses États une ambassade utile à quelques vues de commerce, que les jésuites se promettaient bien de rendre utiles pour eux[1]. L’abbé de Choisy fit une autre découverte, beaucoup plus mortifiante pour son amour-propre. Il vit qu’il n’était, ainsi que le chevalier de Chaumont, qu’un personnage de théâtre, et que ces pères avaient tout le secret de l’ambaisade, secret qui était bien plus celui de la société que de la corr de France ; car Louis XIV désirait bien plus réellement de voir le roi de Siam chrétien, que le père Tachard ne songeait à y travailler. Ces fâcheuses observations ne rendirent pas le séjour de Siam fort agréable à l’abbé de Choisy, il ne soupira pins qu’après le moment de son départ. Il ne fut néanmoins pleinement instruit qu’à son arrivée en France, de tous les tours que

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