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NOTES SUR L’ÉLOGE

tout de lumière et de pénétration, ne peut manquer de voir assez l’impuissance.

» Le roi de Siara, après avoir lu la lettre du roi, dit à M. Constance : Je vois bien que le roi de France me veut faire chrétien, et lui dit ces paroles dun ton à faire beaucoup espérer. Je crois que c’est pour me tenir toujours en haleine, afin que jusqu’au départ de M. l’ambassadeur je ne sache point ma destinée.

» M. Constance est venu voir M. l’ambassadeur, et lui a dit que le roi, en plein conseil, lui avait dit ces paroles : Le roi de France a pour moi une amitié désintéressée. Il m’envoie proposer de me faire chrétien : quel intérêt y a-t-il ? Il demande que je m’instruise de sa religion : il ne faut pas le mécontenter, il faut le faire et voir. Grande parole pour un roi des Indes qui ne sait point dissimuler, et qui croit qu’il y va de son honneur de ne dire que ce qu’il pense ! La même chose a été rapportée à un missionnaire par le Barkalon, qui dit que la religion des pagodes était près de sa fin. Nous ne sommes pas assez innocens pour croire cela tout droit.

» On dit que le roi a donné à M. Vachet une audience de trois heures ; et qu’après l’avoir fort remercié, il a ajouté ces paroles dignes d’un roi chrétien : N’en soyez pas plus orgueilleux, P. Vachet ; ce n’est pas vous qui avez fait de si grandes choses en si peu de temps : c’est le Dieu du ciel et de la terre qui l’a permis pour sa gloire, et c’est lui que nous en devons remercier.

» Oh ! M. l’abbé de Dangeau, la belle chose que la religion chrétienne ! que Timoléon a d’obligation à Théophile de lui avoir ouvert l’esprit[1]! Aussi vous puis-je assurer que, dans la Jérusalem céleste, Timoléon s’écriera : Seigneur, si je chante vos louanges, si je vous vois, si je vous aime, c’est à Théophile, après vous, Dieu de miséricorde, à qui j’en ai la première obligation

» Ce prince, le roi de Siam, ne sera point damné, il connaît à demi la vérité : Dieu lui donnera la force de la suivi’e. Il a un crucifix dans sa chambre : il lit l’Évangile ; il parle de notre seigneur Jésus-Christ avec grand respect : tout cela ne suffit pas pour me faire demeurer ici comme ministre du roi ; mais cela suffit pour nous donner une grande consolation. Prions bien Dieu pour ce bon roi de Siam…

» Le roi me demanda hier s’il était vrai que je connusse le pape. Je lui répondis qu’oui, et que même j’étais le premier homme du monde qui lui eût baisé les pieds un peu avant son exaltation. Puisque cela est, me dit-il, je vous prierai de faire à Rome quelques commissions pour moi. Il n’en dit pas davantage ; et ce sera à l’audience de congé qu’il me parlera en forme. Oh ça, avouons la vérité : ne suis-je pas bien heureux ! et, ne pouvant demeurer ici, pouvais-je l’etourner en Europe d’une manière plus agréable et plus convenable à un ecclésiastique ? Jai eu le service de Dieu en vue en venant, et je l’aurai encore en rctour-

1. L’abbé de Daugeau avait fort contribué à la conversion de l’abbé de Choisy.

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