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au fréquent usage des remèdes ; elle ne cesse d’être utile que quand elle est tournée en habitude.

Ne négligez pas les accidens inconnus qui peuvent arriver à votre individu ; mais ayez recours, en ces occasions, au conseil des médecins.

Êtes-vous malade ? veillez avec soin sur votre santé ; vous portez-vous bien ? usez de votre corps, et ne l’amollissez pas par une délicatesse excessive ; car celui qui, dans l’état de santé, traite son corps avec une espèce de tolérance, pourra souvent, dans les maladies non aiguës, se guérir de lui-même sans aucun autre remède qu’un peu de diète et de régime. Celse a moins parlé en médecin qu’en homme sage, lorsqu’il a donné comme un des plus utiles secrets de prolonger la vie et de conserver sa santé, l’usage alternatif des choses contraires, mais cependant l’usage plus fréquent des choses qui nous sont plus analogues. « Soyez, dit-il, alternativement sobre et peu retenu dans le manger, mais plus souvent sobre. Entremêlez les veilles et un sommeil long, mais plus souvent le sommeil ; livrez-vous au repos et au mouvement, mais plus souvent au dernier : c’est le moyen de conserver et de fortifier tout à la fois la nature. »

Quelques médecins sont si indulgens envers le malade et ses désirs, qu’ils semblent oublier le soin de sa guérison ; d’autres, au contraire, sont si rigoureux et si réguliers à procéder selon l’art dans le traitement des malades, qu’ils ne sont pas assez attentifs à l’état et au tempérament du malade. Prenez un médecin qui évite également ces deux excès.

CHAPITRE XI.
Des Soupçons.

Les soupçons sont aux autres sentimens ce que les chauve-souris sont aux oiseaux : ils ne paraissent jamais que dans l’obscurité. On ne saurait les réprimer avec trop de soin ; car ils troublent l’âme, aliènent les amis, et interrompent les affaires, sont ennemis de la constance et de la gaieté, rendent les princes tyrans, les maris jaloux, les sages même incertains et mélancoliques.

Ils sont un vice de l’esprit plutôt que du cœur ; car ils trouvent entrée dans les âmes les plus nobles et les plus grandes. Témoin Henri VII, roi d’Angleterre, que l’élévation de son âme n’empêcha pas d’être soupçonneux à l’excès.

Cependant il faut avouer que, pour l’ordinaire, les soupçons font moins de ravage dans les grandes âmes ; car elles ne les admet-