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CHAPITRE X.
De l’Art de gouverner sa santé.

Il est, pour gouverner sa santé, un art supérieur à toutes les règles de la médecine. L’observation que chacun doit faire de ce qui lui nuit ou de ce qui lui est utile est la médecine la plus salutaire et la plus sûre. Il est cependant encore plus sûr de dire : Telle chose ma nui, j’y renoncerai donc, que de dire : Telle chose m’a fait plaisir, je continuerai donc à en faire usage ; car la force de la jeunesse couvre bien des excès que l’on paye dans un âge avancé.

Considérez donc l’âge qui vous menace sans cesse, et ne croyez pas pouvoir continuer toujours la même façon de vivre ; car il ne faut point déclarer la guerre à la vieillesse.

Gardez-vous de faire un changement subit dans quelque partie principale de votre régime ; et si la nécessité vous y force, accommodez le reste à ce changement ; car c’est un principe de santé et de politique, qu’il vaut mieux tout changer à la fois, qu’un seul article considérable.

Examinez avec soin vos habitudes, votre diète, votre sommeil, vos exercices, et si vous vous apercevez que quelque chose vous nuise, essayez peu à peu de vous en défaire, de manière pourtant que si cette privation vous est nuisible, vous puissiez revenir sur vos pas ; car il est difficile de distinguer entre les choses qui, en général, sont salutaires, et celles qui conviennent uniquement à la constitution de votre corps.

Un des meilleurs préceptes, pour prolonger et conserver sa vie, est d’avoir l’esprit libre et gai aux heures du sommeil, des repas et de l’exercice. Pour cela, évitez l’envie, l’inquiétude, la crainte, la colère étouffée et retenue, la joie immodérée, la douleur renfermée au dedans d’elle-même et qui ne s’exhale point au dehors. Livrez-vous au contraire à l’espérance, à la gaieté plutôt qu’à la joie, à la variété plutôt qu’à l’excès des plaisirs, à la nouveauté qui amuse et qui dissipe ; aux études enfin qui remplissent l’âme d’objets agréables, telles que la fable, l’histoire, le spectacle de la nature.

Si l’on fuit toutes sortes de médicamens lorsqu’on est en santé l’usage des médicamens sera plus désagréable et plus pénible dans la maladie. D’un autre côté, si l’on s’accoutume trop aux remèdes, ils perdront de leur force et de leur efficace quand on en aura un besoin réel.

La diète, observée dans certains temps, est bien préférable