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corps enflés et pleins de vent, et qui engloutit les corps solides ; mais si le jugement des hommes sages se joint à celui du peuple, alors la réputation s’étend, se fortifie, et devient difficile à détruire ; elle ressemble à ces parfums bien composés, dont l’odeur est beaucoup plus durable que celle des fleurs qui les composent.

La louange a fréquemment une compagne trompeuse, qui la rend suspecte ; trop souvent elle n’est dictée que par l’adulation.

Si le flatteur est un homme ordinaire, il ne louera en vous que des qualités communes et que vous partagez avec d’autres, et non des qualités particulières et recherchées. Un adulateur plus fin marchera sur les traces de l’adulateur principal, c’est-à-dire, de vous-même ; il louera principalement en vous les qualités dans lesquelles vous croyez exceller, et qui sont l’objet de votre complaisance. Un adulateur impudent et sans honte, s’attachera surtout à louer les défauts que vous reconnaissez en vous, et dont vous rougissez, et parviendra à vous étourdir sur le témoignage intérieur de votre conscience.

Certaines louanges non méritées sont dictées quelquefois par le respect et même par la vertu ; ce sont celles qui conviennent principalement aux princes : les louanges, quand ils n’en sont pas dignes, doivent être pour eux des leçons ; en les louant de ce qu’ils ne sont pas, on les avertit respectueusement de ce qu’ils doivent être.

Il y a des gens qui affectent quelquefois par malice de louer leurs ennemis, pour exciter plus sûrement contre eux l’envie et la haine. Agricola, dit Tacite, avait des ennemis d’autant plus méchans, qu’ils le louaient.

Les louanges modérées, données à propos, et peu communes, sont les plus agréables et les plus avantageuses ; car rien ne révolte davantage, et n’est plus sujet à la contradiction et au ridicule, que d’élever jusqu’aux nues quelqu’un ou quelque chose : mais s’il n’est pas décent de se louer soi-même, excepté dans quelques cas extrêmement rares, on peut au moins louer décemment, et même avec une sorte de grandeur, l’état qu’on professe et les emplois qu’on exerce. S. Paul se glorifiant lui-même, ajoute quelquefois ces mots : Je parle en insensé ; mais quand il parle de sa mission, il ne craint point de dire : Je me glorifierai de mon apostolat.

CHAPITRE XVI.
De la vaine Gloire.

Ésope a dit également : Une mouche assise sur le timon d’un chariot, se disait à elle-même : Que je fais de poussière ! il y a