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CHAPITRE XXV.
De l’Amitié.

Quiconque aime la solitude, a dit un ancien, est un dieu ou une bête sauvage ; j’ajoute qu’il est presque toujours le dernier, car les dieux sont rares.

Souvent on se trouve dans la solitude sans la chercher, et c’est lorsqu’on est privé d’amis ; car il ne faut pas croire qu’une compagnie fort nombreuse soit une société ; les hommes qu’on y voit ne sont guère pour nous que comme des statues dans des portiques. Le commerce sans liaison et sans confiance n’est qu’un vain bruit.

On a dit avec raison : Une grande ville est quelquefois une grande solitude ; le monde même sans amis serait un désert. Le meilleur remède aux obstructions du cœur est un ami fidèle, à qui l’on puisse confier ses chagrins, ses plaisirs, ses craintes, ses espérances, ses soupçons, ses inquiétudes, ses desseins, ses faiblesses même.

L’amitié est un bien si nécessaire aux hommes, que les rois même, à qui rien ne paraît manquer, la cherchent et ne la trouvent presque jamais ; c’est que l’égalité et la sûreté en sont l’âme : il semble que la nature l’ait accordée aux états inférieurs pour les dédommager.

CHAPITRE XXVI.
Des Richesses.

On ne peut donner aux richesses un nom plus convenable que celui de bagages de la vertu ; car elles sont à la vertu ce que les bagages sont à une armée ; nécessaires, mais incommodes, et capables quelquefois de retarder ou de diminuer la victoire.