Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, IV.djvu/480

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Christine

Ah ! vous voilà, mon cher Descartes ? Que je suis ravie de vous revoir après une si longue absence !

Descartes

Depuis près d’un siècle que nous sommes ici tous deux, il n’a tenu qu’à vous de nous retrouver beaucoup plus tôt. Mais je ne suis pas surpris que vous m’ayez laissé à l’écart. Vous savez que sur la terre même, les Princes & les Philosophes ne vivent pas beaucoup ensemble ; s’ils se recherchent quelquefois, c’est par le sentiment passager d’un besoin réciproque, les Princes pour s’instruire, les Philosophes pour être protégés, les uns & les autres pour être célebres ; car chez les Rois, & même chez les Sages, la vanité se tait rarement. Mais quand une fois on est arrivé dans le triste & paisible séjour où nous sommes, Rois & Philosophes n’ont plus rien à prétendre, à espérer ni à craindre les uns des autres ; ils se tiennent donc chacun de leur côté ; cela est dans l’ordre.

Christine

Quelque froideur que vous me fassiez paroître, & quelque indifférence que vous me reprochiez à votre égard, j’ai toujours conservé pour vous des sentimens de reconnaissance & d’estime ; et ces sentimens viennent d’être réveillés par des nouvelles que j’ai à vous apprendre, & qui pourront vous intéresser.

Descartes

Des nouvelles qui m’intéresseront ! Cela sera difficile. Depuis que je suis ici, j’ai souvent entendu les morts converser entre eux ; ils débitoient ce qui s’est passé sur la terre depuis que je l’ai quitté ; j’ai tant appris de sottises que je suis dégoûté de nouvelles. D’ailleurs comment voulez-vous que je me soucie de ce qui se passe là haut depuis que je n’y suis plus ? J