Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, IV.djvu/63

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députés du sénat ; que le camp et les fleuves sont souillés de sang ; et que je traîne ici ma vie à la merci des factieux (26) ?

Pourquoi, le jour de mon arrivée, m’arrachâtes-vous le fer que j’allais enfoncer dans mon sein ? Amis imprudens ! celui qui m’offrait son épée me témoignait plus d’intérêt ; j’aurais péri sans partager l’opprobre de mon armée ; vous auriez choisi un chef qui eût à la vérité laissé ma mort impunie, mais vengé celle de Varus et de trois légions. Ne permettez pas, grands dieux, que les Belges, malgré leurs offres, aient la gloire d’avoir défendu le nom romain, et contenu la Germanie. Votre âme qui habite les cieux, ô divin Auguste ! votre image et votre mémoire, ô mon père Drusus[1] ! vont, par ces mêmes soldats, effacer cette tâche ; déjà la honte et l’honneur rentrent dans leurs âmes ; ils rendront funeste aux ennemis leur révolte même. Et vous, dont je lis le repentir sur vos visages, si vous voulez rendre au sénat ses députés, à l’empereur l’obéissance, à moi ma femme et mon fils, séparez-vous de la contagion, et laissez à part les séditieux ; ce sera la preuve de votre changement et le gage de votre fidélité. »

Ce discours apaisa la sédition.

Ces nouvelles donnèrent à Tibère de la joie et de l’inquiétude ; il voyait avec plaisir la sédition réprimée, mais avec chagrin la gloire militaire de Germanicus et la faveur des soldats, que l’argent et les congés lui donnaient. Cependant il rendit compte de tout au sénat, et s’étendit sur les vertus de son fils, avec trop d’étalage (27) pour paraître sincère. Il loua aussi Drusus d’avoir apaisé les mouvemens d’Illyrie, mais en moins de paroles, et d’un ton plus vrai.

Plaintes contre Tibère.

On ignorait encore à Rome que les troubles d’Illyrie étaient, apaisés, lorsqu’on y apprit ceux de Germanie. La ville alarmée se plaignait que Tibère, tandis qu’il se jouait, par une indécision affectée, d’un sénat faible et d’un peuple sans armes, laissât mutiner les troupes, à qui l’autorité naissante de deux jeunes gens ne pouvait en imposer : « Qu’il fallait y aller lui-même, et opposer aux rebelles la majesté impériale, sa longue expérience, le pouvoir de récompenser et de punir ; qu’Auguste ayant parcouru tant de fois la Germanie dans le déclin de son âge, Tibère, dans la force du sien, venait s’asseoir parmi les sénateurs, pour chicaner leurs discours ; qu’il n’avait que

  1. Germanicus était fils de Drusus, frère de Tibère : ainsi il était neveu de Tibère par le sang , et son fils par adoption.