Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, IV.djvu/64

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trop assuré la servitude de Rome ; qu’à l’armée il fallait adoucir les esprits pour leur faire supporter la paix. »

Tibère, malgré ces discours, persista fermement à ne pas quitter le timon des affaires, et à ne risquer ni l’État ni lui-même : agité par des mouvemens contraires, il pensait que l’armée de Germanie était plus nombreuse et appuyée par les forces des Gaulois ; celle de Pannonie plus proche et menaçant l’Italie ; que s’il allait à l’une par préférence, l’autre en serait révoltée comme d’un affront : au lieu que par ses fils il les visitait toutes deux et sauvait la majesté souveraine, toujours respectée dans l’éloignement ; que ces jeunes princes seraient d’ailleurs (28) excusables de renvoyer quelques demandes à leur père ; et que s’ils trouvaient de la résistance, l’empereur pouvait les remplacer ; mais qu’il n’y avait plus de ressource si l’on méprisait et ses représentations et ses menaces. Néanmoins, feignant d’être prêt à partir, il nomma son cortège, fit préparer ses équipages et armer des vaisseaux ; prétextant ensuite tantôt l’hiver, tantôt les affaires, il trompa quelque temps les gens sensés, longtemps le peuple, et très-long-temps les provinces.

Alliance de Ségeste avec les Romains.

Peu de temps après arrivèrent des députés de Ségeste, demandant du secours contre sa nation qui l’assiégeait ; Arminius conseillait la guerre et avait pris le dessus. Car chez les barbares, plus on montre d’audace, plus on est jugé citoyen, et digne chef de révolte. Sur cet avis, Germanicus fait rebrousser chemin à son armée, attaque les assiégeans, enlève Ségeste et un grand nombre de ses cliens et de ses proches ; parmi eux étaient plusieurs femmes du premier rang, entre autres l’épouse d’Arminius, fille de Ségeste, plus dévouée à son mari qu’à son père ; sans répandre une larme, sans prendre le ton de suppliante, elle regardait, les mains croisées, ce qu’elle portait dans son sein. Ségeste, remarquable par sa taille, et rassuré par les preuves de sa fidélité , parla de la sorte à Germanicus.

« Ce jour n’est pas le premier où je marque mon dévouement au peuple romain ; mis au nombre de vos citoyens par Auguste, votre intérêt a décidé de mes inimitiés et de mes liaisons : ce n’est point haine pour ma patrie, les traîtres font horreur à ceux même qu’ils servent ; mais le bien de la Germanie m’a paru lié à celui de Rome, et la paix meilleure que la guerre. J’ai donc accusé, auprès de Varus, qui commandait alors, cet Arminius, le ravisseur de ma fille et l’infracteur des traités. Les délais du général, sa négligence, et trop peu