Page:D’Haussonville - Souvenirs et mélanges.djvu/30

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

officiers de tout grade sortis de leurs corps, des gentilshommes abandonnant leurs terres, des courtisans chassés de la Cour, et, mêlées à eux, nombre de femmes qui venaient rejoindre leurs maris. L’aspect chaque jour plus sombre de l’avenir ne suffisait pas à mettre un peu de gravité parmi ces exilés. Isolé, chacun se sentait à peu près ruiné, éloigné pour longtemps de son pays, et tremblait pour les parents restés en France ; réunis, on s’exaltait les uns les autres et l’on mettait en commun ses espérances. Ceux que leur âge aurait dû rendre plus expérimentés faisaient parade de leur insouciance et donnaient le signal des plaisirs. Les dangers et les accidents de la fuite, le pêle-mêle dans les auberges, les privations, les embarras de tout genre qu’il fallait supporter pour la première fois, devenaient matière à mille joyeuses plaisanteries. Les femmes les plus jeunes et les plus élégantes paraissaient s’arranger le mieux de cette vie errante. J’ai entendu souvent mon père parler du ton leste, des manières dégagées que la plupart de ces dames avaient empruntés aux hommes parmi lesquels il leur fallait vivre. La conduite de quelques-unes d’elles était d’ailleurs en parfait rapport avec leur langage, quoique, depuis, il n’y ait guère paru. Mon père en savait de bonnes histoires. S’il les eût racontées, il aurait pu les commencer presque toutes comme Brantôme celle des femmes de son siècle. J’ai connu une très-grande, très