Page:D’Haussonville - Souvenirs et mélanges.djvu/43

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du franc rire et des joyeux propos. Les rôles étaient intervertis c’étaient nos compatriotes qui guérissaient leurs consolateurs de la tristesse et du spleen. Mon père m’a raconté qu’un jour les habitants d’une ville anglaise, voisine du littoral, furent avertis que la tempête venait de faire échouer à la côte un navire portant des émigrés français. Les douaniers et les agents du service sanitaire n’avaient pas cru pouvoir leur permettre de gagner la ville avant l’accomplissement des formalités en usage. Ils étaient donc restés tout trempés de pluie et d’eau de mer, sans abri, sur la plage. À cette nouvelle, grande émotion dans la petite ville ; on organise une quête dans toutes les maisons ; on rassemble à la hâte des vivres et des vêtements ; puis, hommes et femmes accourent les mains pleines sur le lieu du désastre, persuadés qu’ils vont assister au plus lamentable spectacle. Cependant un peu de temps s’était écoulé, juste assez pour que le soleil succédât à l’orage. La scène qui attendait les premiers arrivés n’était pas tout à fait celle qu’ils avaient imaginée. Afin de s’aider à prendre patience et pour se réchauffer un peu, nos compatriotes, après avoir déposé en tas leurs habits mouillés que gardaient les dames, se livraient avec ardeur, en manches de chemise et comme de véritables écoliers, à une joyeuse partie de barres. Les Anglais n’en pouvaient croire leurs yeux.