Page:D’Haussonville - Souvenirs et mélanges.djvu/44

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Mon père qui, avec beaucoup de sérieux dans le caractère, était doué d’une intarissable bonne humeur, plaisantait volontiers sur les économies de toutes sortes, sur les mille sacrifices qu’il lui avait fallu s’imposer, sur les adroites inventions auxquelles il avait dû recourir pour vivre, pendant quelques semaines seulement, sur un pied convenable, dans la haute société anglaise où sa naissance et son amabilité le faisaient non-seulement admettre mais rechercher. Il se vantait d’avoir déployé des ressources d’esprit infinies pour renouveler un peu l’aspect d’un habit qui menaçait de n’être plus à la dernière mode. Il disait avoir fait preuve d’une adresse particulière pour pincer le pavé sur les trottoirs en culottes courtes, en bas de soie et en souliers vernis, afin de courir, le soir, sans se crotter, d’un raout à un autre. Quand il trouvait que mes dépenses de jeune homme montaient un peu trop haut, il me disait parfois en riant : « J’aurais bien voulu voir comment tu t’y serais pris pour mener la vie élégante, comme j’ai fait à Londres pendant l’émigration, sans avoir dans ma poche le dixième de la pension que je te donne. »

Ici, je perds un peu la trace de mon père ; je sais seulement qu’entre 1797 et 1800, ayant enfin eu de bonnes nouvelles de sa famille et curieux de visiter l’Angleterre, il alla avec ses amis, MM. de Vérac, d’Aramon et de Fitz-James, faire un voyage en Écosse. Ce voyage se fit dans un petit gig à quatre roues. Le