Page:D’Haussonville - Souvenirs et mélanges.djvu/55

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on voyait l’Empereur assis auprès de Marie-Louise et badinant avec l’enfant. Mon père se sentit frapper sur l’épaule. C’était un maréchal fameux qui n’était pas venu à Paris depuis longtemps et qui recevait une première audience. « Mais voyez donc, monsieur, dit-il à mon père, n’est-ce pas là le parfait modèle du bonheur domestique ? » Et le maréchal n’était pas seulement ému, il pleurait à chaudes larmes. Le spectacle de la grandeur heureuse a toujours eu le privilège d’attendrir le cœur des hommes.

Les jours où l’Empereur se rendait au conseil d’État, le chambellan de service l’accompagnait toujours, non sans avoir reçu des valets de la chambre trois ou quatre tabatières de rechange, car, si les séances étaient intéressantes, si l’Empereur se mettait à discuter, il faisait une consommation ou plutôt un gaspillage incroyable de tabac. Mon père a assisté à plusieurs belles discussions. Il n’y régnait pas toute la liberté qu’on a bien voulu dire, mais enfin la contradiction se faisait jour, dans les commencements surtout, et sur les sujets qui ne touchaient que de loin à la politique. Quand la discussion languissait, quand l’Empereur avait envie de la ranimer, il adressait quelques provocations transparentes, quelquefois des apostrophes ou sérieuses ou plaisantes, aux membres éminents du conseil, à ceux qui se portaient volontiers ses contradicteurs. On sentait que le maître était du belle humeur et en