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II

Votre librairie est autre. Monsieur Rouquette. On devine qu’elle est en même temps près de la bibliothèque Richelieu, du Théâtre-Italien et des Bouffes : elle est aussi variée que votre clientèle.

Chaque amateur divers vient y chercher les objets de sa prédilection. Les uns veulent des incunables, des Aides, des Elzévirs, des Cazins exclusivement ; les autres, des écrivains du XVe, du XVIe, du XVIIe, du XVIIIe ou du XIXe siècle, exclusivement toujours. Ceux-ci ne s’attachent qu’aux papiers, soit teinté, soit wathman, soit chamois ; ceux-là ne désirent que des reliures de Le Gascon, de Derome, de Lortic ou de Trautz-Beauzonnet ; tel n’achète que les ouvrages qui n’ont pas été mis dans le commerce ; tel (membre de l’Institut, je vous le dis tout bas) préfère les livres à vignettes.

Aussi, que de bavardages sans prétention sur les menus détails de la bibliophilie : les ex libris, les errata, les cartons, les filigranes, les marques des imprimeurs, les dentelles et les petits fers à froid ! Chacun s’y montre tour à tour intéressant comme M. Paul Lacroix, expert comme M. Poulet-Malassis, causeur comme Sarcey, communicatif comme le baron Feuillet de Conches, complaisant comme M. de Lescure ; tous se donnant l’un à l’autre le goût des livres, le moins exigeant, le moins trompeur et le moins dangereux des amours.

Il vous fait de la peine que toutes ces conversations aient lieu chez vous en pure perte et vous désireriez que chaque client voulût bien écrire ce qu’il y répète souvent, trop souvent peut-être. Vous m’engagez même à donner l’exemple.

Prenez garde. Un grand philosophe avait coutume de dire : « Je crains l’homme qui n’a qu’un livre. » Ma bibliothèque est petite et se compose d’un seul auteur, Mon-