Page:Dante - La Divine Comédie, traduction Lamennais volume 1, Didier, 1863.djvu/154

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
142
INTRODUCTION.

flot qui passe au-dessus du vaisseau englouti dans l’éternel silence de l’abîme.

La puissance souveraine de l’art dérive de ses rapports mystérieux avec ce quelque chose d’infini que recèle l’âme humaine. S’il ne pénètre à cette profondeur, il ne produit que des effets vulgaires, n’éveille aucun de ces longs échos, qui, comme les ondes d’un vaste océan, vont se perdre au loin dans l’espace immense. C’est beaucoup moins par ce qu’il exprime que le poëte est vraiment poëte, créateur[1], que par les pensées, les visions internes qu’il suscite. Et ces visions, diverses pour chacun selon sa nature, le caractère de son esprit, sa sphère propre d’idées, de sentiments, sont par cela même inépuisables. Quoi de plus simple que le récit d’Ulysse ? Et qui pourrait l’entendre sans émotion, sans voir flotter vaguement devant soi tout un monde, on ne sait quel monde, mais agrandi encore par le mélange des ombres. Plus les contours en sont indécis, plus il fascine l’imagination. Ce monde, au fond, ce n’est que l’homme même, son éternelle aspiration à un « au delà » sans terme, son mouvement éternel à travers les réalités passagères, vers ce que ne borne ni le temps ni l’espace, vers l’Être infini qui éternellement attire à soi toutes ses créatures. Près de lui, qu’est-ce que le reste ? Près de la joie de s’en approcher, qu’est-ce que les joies de

  1. Poiètès