Page:Dante Alighieri - La Vie nouvelle, traduction Durand Fardel.djvu/70

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je me disais : « Si cette femme savait dans quel état je me trouve, je ne crois pas qu’elle se moquerait de moi ; je crois plutôt qu’elle en aurait grande pitié. » Et, tout en pleurant ainsi, je me proposai de dire quelques mots qui s’adresseraient à elle-même et lui expliqueraient la cause de ma transfiguration, où je lui dirais que j’étais bien sûr qu’elle n’en était pas consciente, et que si elle l’avait été, sa compassion aurait gagné les autres. Et je souhaitais qu’en lui tenant ce langage mes paroles pussent arriver jusqu’à elle,

Vous avez ri de moi avec ces autres femmes[1],
Et vous ne savez pas, Madame, d’où vient
Que je vous montre un visage si nouveau
Quand je contemple votre beauté.
Si vous le saviez, votre pitié ne pourrait pas
Garder contre moi votre habituelle rigueur.
Car l’Amour, lorsqu’il me trouve près de vous,
S’enhardit et prend un tel empire
Qu’il frappe mes esprits craintifs,
Et les tue ou les chasse,
De sorte qu’il reste seul à vous regarder.
C’est ce qui me fait changer de figure,
Mais pas assez pour que je ne sente pas alors
Les angoisses où me plongent les tourmens qu’ils subissent[2].

  1. Coll’ altre donne mia vista gabbate
  2. Commentaire du ch. XIV.