Page:Darien - Biribi (Savine 1890).djvu/188

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

longtemps, les croyances bêtes de mon enfance et je n’écris plus à personne. Pas une seule fois, même dans les minutes les plus atroces, je n’ai pensé à appeler à mon aide les sentiments religieux ou le souvenir de la famille. Je ne veux pas donner à mes douleurs cette consolation puérile. Je serais obligé de l’enlever, plus tard, comme un appareil qu’on arrache brutalement d’une blessure mal fermée et qui laisse la plaie à vif. La rage seule me soutient. Je me repais de ma haine. J’irai jusqu’au bout ainsi, sans faiblir, car j’ai foi en l’avenir, car je sais que c’est avec les fers qu’il a trouvés dans les cachots de la Bastille que le peuple a forgé la Louisette.

Je souffre physiquement, aussi. Et la souffrance morale pèse peu, peut-être, à côté de cette souffrance-là. Le peloton de chasse, avec le ventre vide, la gorge sèche, la sueur qui inonde le corps et dont les gouttes salées viennent piquer les yeux ; l’immobilité, pendant des heures, dans les poses les plus fatigantes du maniement d’armes ou de l’escrime à la baïonnette, en plein soleil ; les séries de pas de course, avec une charge à faire reculer une bête de somme, sur une piste dont la poussière soulevée altère et aveugle ! Les fers qui brisent les membres ; le bâillon qui fend la bouche et ensanglante la lèvre qui ne peut même plus s’indigner ! Et surtout la faim, la faim atroce qui tord les entrailles, qui affole ; la soif dévorante qui fait hurler ! Quoi de plus terrible que la fatigue immense, presque invincible, qui s’appesantit sur le corps exténué ? Quelles luttes à soutenir contre les forces qui s’en vont, contre l’énergie qui disparaît, contre l’avachissement qui ne tarderait pas à avoir raison de l’esprit énervé !…

Il faut réagir, pourtant, résister jusqu’au dernier