Page:Darien - Biribi (Savine 1890).djvu/189

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moment et rire au nez du Code pénal, ― ce canon chargé, mèche allumée, devant lequel je dois vivre.


Un homme de garde, en passant devant mon tombeau, laisse tomber un papier plié en quatre. Je le ramasse. C’est un billet de Queslier. Il m’avertit qu’il a pu disposer d’un pain et qu’il l’a caché, à mon intention, à un endroit qu’il m’indique. Je n’aurai qu’à m’esquiver, le soir, pour aller le chercher. C’est à deux cents mètres du ravin, tout au plus. Tant mieux, ma foi ! Je crève de faim, depuis huit jours que je suis en cellule, avec une soupe tous les deux jours. Je n’ai pas mangé depuis hier matin… Tiens, mais à propos, d’où provient-il, ce pain ?

— Quelle blague ! me dit tout bas un de mes voisins, en cellule aussi et à qui j’ai promis d’en donner un morceau. Tu ne sais donc pas que, toutes les nuits, il y a des types qui vont chaparder des pains sur les rayons de la grande tente de l’administration ? Moi, je ne leur donne pas tort…

Moi non plus. Je ne donnerai jamais tort à l’homme qui dérobera une boule de son. Je laisserai cette canaillerie sauvage aux tribunaux militaires, qui n’auront pas honte, s’ils sont jamais surpris, ces affamés, de leur infliger une condamnation pour vol, ― le vol de la nourriture que leurs supérieurs leur grinchissent.


Il fait presque nuit. J’allonge la tête pour examiner la place et voir la binette du factionnaire. Pourvu que ce ne soit pas une bourrique !… Non ; c’est Chaumiette. Avec lui, il n’y a pas de danger ; s’il me voit m’évader, il fera certainement semblant de ne pas me voir. Il est justement seul dehors. Les autres hommes