Page:Darien - Biribi (Savine 1890).djvu/25

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bravement, je demande à mon père ce qu’il regarde par là, à gauche.

— Moi ? Rien, rien…

— Ah ! à propos, figure-toi qu’au bureau de recrutement…

Je lui raconte des histoires quelconques ; je lui parle d’un individu qui ne voulait pas ôter sa chemise pour passer la visite et d’un autre qui avait oublié de retirer ses bottes. Je trouve vraiment ces petits incidents très drôles. J’en ris aux éclats, je m’en tiens les côtes. Mon père se contente de sourire ; un sourire jaune. Il faut pourtant être gai, que diable ! Il faut arriver à lui faire croire que je ne suis pas trop mécontent de mon sort, que je pars de bon cœur, que la nouvelle vie que je vais mener ne m’inspire pas la moindre répulsion. Je me bats les flancs pour le dérider ; je ridiculise les passants ; je me moque d’un marchand de coco qui agite sa crécelle malgré la saison, et d’un monsieur qui, sur une impériale d’omnibus, bat la semelle avec rage.

Rien n’y fait. Mes éclats de rire et mes explosions de gaîté ratent comme des fusées mouillées dont la baguette retombe piteusement à terre ; et, quand je quitte mon père, au bureau des tramways, il me serre les doigts un peu fort dans sa main moite et me dit : « À demain » avec une voix mouillée. Je le regarde s’éloigner, voûté, appuyé sur sa canne, triste et las…


— Courcelles ! En voiture !

Je grimpe sur l’omnibus. Je vais au parc Monceau. À côté du parc Monceau, tout au moins, où habite mon oncle, avec sa femme et sa fille.

Mon oncle, c’est une pompe à morale. Une pompe