Page:Darwin - La Descendance de l’homme, 1881.djvu/222

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

avec l’étendue des différences qui existent entre les parents au point de vue de la conformation externe ou des habitudes d’existence. On peut, sous beaucoup de rapports, comparer l’homme aux animaux réduits depuis longtemps en domesticité ; or, on peut aussi accumuler une grande masse de preuves en faveur la doctrine de Pallas[1], à savoir que la domestication tend à atténuer la stérilité qui accompagne si généralement le croisement des espèces à l’état de nature. On peut, à juste titre, tirer de ces diverses considérations, la conclusion que la fécondité complète des différentes races humaines entre-croisées, alors même qu’elle serait prouvée, ne serait pas un motif absolu pour nous empêcher de regarder ces races comme des espèces distinctes.

Indépendamment de la fécondité, on a cru pouvoir trouver dans les caractères des produits d’un croisement des preuves indiquant qu’il convient de considérer les formes parentes comme des espèces ou comme des variétés ; mais une étude très attentive de ces faits m’a conduit à conclure qu’on ne saurait, en aucune façon, se fier à des règles générales de cette nature. Le croisement amène ordinairement la production d’une forme intermédiaire dans laquelle se con-

  1. La Variation des animaux et plantes, etc., vol. II, p, 117. Je dois ici rappeler au lecteur que la stérilité des espèces croisées n’est pas une qualité spécialement acquise ; mais que, comme l’inaptitude qu’ont certains arbres à être greffés les uns sur les autres, elle dépend de l’acquisition d’autres différences. La nature de ces différences est inconnue, mais elles se rattachent surtout au système reproducteur, et beaucoup moins à la structure externe ou à des différences ordinaires de la constitution. Un élément qui paraît important pour la stérilité des espèces croisées résulte de ce que l’une ou toutes deux ont été depuis longtemps habituées à des conditions fixes ; or, le changement dans les conditions exerçant une influence spéciale sur le système reproducteur, nous avons d’excellentes raisons pour croire que les conditions fluctuantes de la domestication tendent à éliminer cette stérilité si générale dans les croisements d’espèces à l’état de nature. J’ai démontré ailleurs (Variation, etc., vol. II, p. 196 ; et Origine des espèces, p. 281) que la sélection naturelle n’a pas déterminé la stérilité des espèces croisées ; nous pouvons comprendre que, lorsque deux formes sont déjà devenues très stériles l’une avec l’autre, il est à peine possible que leur stérilité puisse s’augmenter par la persistance et la conservation des individus de plus en plus stériles ; car, dans ce cas, la progéniture ira en diminuant, et, finalement, il n’apparaîtra plus que des individus isolés et à de rares intervalles. Mais il y a encore un degré de plus haute stérilité. Gärtner et Kölreuter ont tous deux prouvé que, chez des genres de plantes comprenant de nombreuses espèces, on peut établir une série de celles qui, croisées, donnent de moins en moins de graines, jusqu’à d’autres qui n’en produisent jamais une seule, bien qu’elles soient affectées par le pollen de l’autre espèce, puisque le germe s’enfle. Il est donc ici impossible que la sélection s’adresse aux individus les plus stériles qui ont déjà cessé de produire des graines, de sorte que l’apogée de la stérilité, lorsque le germe est seul affecté, ne peut résulter de la sélection. Cet apogée, et sans doute les autres degrés de la stérilité, sont les résultats fortuits de certaines différences inconnues dans la constitution du système reproducteur des espèces croisées.