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fondent les caractères des parents ; mais, dans certains cas, une partie des petits ressemblent étroitement à une des formes parentes, et les autres à l’autre forme. Ce phénomène se produit surtout quand les parents possèdent des caractères qui ont apparu à la suite de brusques variations et que l’on peut presque qualifier de monstruosités[1]. Je fais allusion à ce phénomène parce que le docteur Rohlfs m’apprend qu’il a fréquemment observé en Afrique que les enfants des nègres croisés avec des individus appartenant à d’autres races sont complètement noirs ou complètement blancs et rarement tachetés. On sait, d’autre part, que les mulâtres, en Amérique, affectent ordinairement une forme intermédiaire entre les deux races parentes.

Il résulte de ces diverses considérations qu’un naturaliste pourrait se sentir suffisamment autorisé à regarder les races humaines comme des espèces distinctes, car il a pu constater chez elles beaucoup de différences de conformation et de constitution, dont quelques-unes ont une haute importance, différences qui sont restées presque constantes pendant de longues périodes. D’ailleurs, l’énorme extension du genre humain ne laisse pas que de constituer un argument sérieux, car cette extension serait une grande anomalie dans la classe des mammifères, si le genre humain ne représentait qu’une seule espèce. En outre, la distribution de ces prétendues races humaines concorde avec celle d’autres espèces de mammifères incontestablement distinctes. Enfin, la fécondité mutuelle de toutes les races n’a pas été pleinement prouvée, et, le fût-elle, ce ne serait pas une preuve absolue de leur identité spécifique.

Examinons maintenant l’autre côté de la question. Notre naturaliste rechercherait sans aucun doute si, comme les espèces ordinaires, les formes humaines restent distinctes lorsqu’elles sont mélangées en grand nombre dans un même pays ; il découvrirait immédiatement qu’il n’en est certes pas ainsi. Il pourrait voir, au Brésil, une immense population métis de nègres et de Portugais ; à Chiloe et dans d’autres parties de l’Amérique du Sud, il trouverait une population entière consistant d’Indiens et d’Espagnols mélangés à divers degrés[2]. Dans plusieurs parties du même continent, il rencontrerait les croisements les plus complexes entre des nègres, des Indiens et des Européens ; or, ces triples combinaisons fournissent, à en juger par le règne végétal, la preuve la plus rigoureuse de la

  1. La Variation des animaux, etc., vol. II, p. 99.
  2. M. de Quatrefages (Anthropolog. Review, janv. 1869, p. 22) a publié quelques pages intéressantes sur les succès et l’énergie des Paulistas du Brésil, qui sont une race très croisée de Portugais et d’Indiens, avec mélange de quelques autres races.