Page:Darwin - La Descendance de l’homme, 1881.djvu/309

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

les mâles l’emportent autant par le nombre sur les femelles. Il arrive invariablement que, dans le premier afflux du poisson au filet, on trouve, parmi les captifs, au moins sept ou huit mâles pour une femelle. Je ne puis m’expliquer ce fait : il faut en conclure que les mâles sont plus nombreux que les femelles, ou que celles-ci cherchent à éviter le danger plutôt en se cachant que par la fuite. » Il ajoute ensuite qu’en fouillant les bancs avec soin, on y trouve suffisamment de femelles pour fournir les œufs[1]. M. H. Lee m’apprend que, sur 212 truites prises dans le parc de lord Portsmouth, il y avait 150 mâles et 62 femelles.

Les mâles paraissent aussi être en excès chez les Cyprinidés, mais plusieurs membres de cette famille, la carpe, la tanche, la brème et le véron, paraissent régulièrement suivre l’usage, rare dans le règne animal, de la polyandrie ; car la femelle, pendant la ponte, est toujours assistée de deux mâles, un de chaque côté, et, dans le cas de la brème, il y en a trois ou quatre. Le fait est si connu, qu’on recommande toujours de pourvoir un étang de deux tanches mâles pour une femelle, ou au moins trois mâles pour deux femelles. Avec le véron, ainsi que le constate un excellent observateur, les mâles sont dix fois plus nombreux sur les champs de frai que les femelles ; lorsqu’une de celles-ci pénètre parmi les mâles, « elle est immédiatement serrée de près entre deux mâles qui, après avoir conservé cette position pendant quelque temps, sont remplacés par deux autres[2]. »


INSECTES


Les Lépidoptères seuls nous permettent de juger du nombre proportionnel des sexes chez les insectes, car ils ont été recueillis avec beaucoup de soin par de nombreux et d’excellents observateurs ; on s’est beaucoup occupé aussi de leurs transformations. J’avais espéré trouver des documents exacts chez quelques éleveurs de vers à soie ; mais, après avoir écrit en France et en Italie, et avoir consulté divers traités, je suis forcé de conclure qu’on n’a jamais tenu un relevé exact ou même approximatif des sexes. L’opinion générale est que les individus des deux sexes sont en nombre à peu près égal ; mais le professeur Canestrini m’apprend qu’en Italie un grand nombre d’éleveurs sont convaincus que les femelles sont produites en excès. Le même naturaliste, toutefois, m’informe que, dans les deux éclosions annuelles du ver de l’Atlante (Bombyx cynthia), les mâles l’emportent de beaucoup dans la première, puis les deux sexes deviennent presque égaux, ou les femelles sont un peu en excès dans la seconde.

Plusieurs observateurs ont été vivement frappés de la prépondérance, en apparence énorme, des mâles chez les Lépidoptères à l’état de nature[3]. Ainsi M. Bates[4], parlant des espèces qui, au nombre d’une centaine, habi-

  1. Land and Water, 1868, p. 41.
  2. Yarrel, Hist. British Fishes, vol. I, p. 307 ; sur le Cyprinus carpio, p. 331 ; sur le Tinca vulgaris, p. 331 ; sur l’Abramis brama, p. 336. Voir pour le Leuciscus phoxinus, Loudon, Mag. of Nat. Hist., vol. v, 1832, p. 682.
  3. Leuckart cite Meinecke (Wagner, Handvörterbuch der Phys., vol. IV, 1853, p. 775), qui affirme que chez les papillons les mâles sont trois ou quatre fois aussi nombreux que les femelles.
  4. The Naturalist on the Amazons, vol. II, 1863, pp. 228, 347.