Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/553

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
537
COUP D’ŒIL RÉTROSPECTIF.

à désirer voir le lion dans son désert, le tigre déchirant sa proie dans la jungle, ou le rhinocéros errant dans les plaines sauvages de l’Afrique.

On peut aussi compter au nombre des scènes magnifiques qu’il nous a été donné de contempler, la croix du Sud, le nuage de Magellan et les autres constellations de l’hémisphère austral — les glaciers s’avançant jusqu’à la mer et quelquefois la surplombant — les îles de corail construites par des coraux vivants — les volcans en activité — les effets stupéfiants d’un tremblement de terre. Ces derniers phénomènes ont peut-être pour moi un intérêt tout particulier, en ce sens qu’ils sont intimement reliés à la structure géologique du globe. Cependant le tremblement de terre doit être pour tout le monde un événement qui produit la plus profonde impression. On s’est habitué depuis l’enfance à considérer la terre comme le type de la solidité et elle se met à osciller sous nos pieds comme le ferait une croûte fort mince. En voyant les plus solides, les plus magnifiques ouvrages de l’homme renversés en un instant, qui ne sentirait la petitesse de cette prétendue puissance dont nous sommes si fiers ?

On dit que l’amour de la chasse est une passion inhérente à l’homme, la dernière trace d’un instinct puissant. S’il en est ainsi, je suis sûr que le plaisir de vivre en plein air, avec le ciel pour toiture et le sol pour table, fait partie de ce même instinct ; c’est le sauvage revenu à ses habitudes natives. Je pense toujours à mes excursions en bateau, à mes voyages à travers des pays inhabités, avec un bonheur que n’aurait produit aucune scène civilisée. Je ne doute pas que tous les voyageurs ne se rappellent avec un immense plaisir les sensations qu’ils ont éprouvées, quand ils se sont trouvés au milieu d’un pays où l’homme civilisé n’a que rarement ou jamais pénétré.

Un long voyage offre, en outre, bien des sujets de satisfaction d’une nature plus raisonnable. La carte du monde cesse d’être une vaine image pour le voyageur ; elle devient un tableau couvert des figures les plus animées et les plus variées. Chaque partie de cette carte revêt, en outre, les dimensions qui lui appartiennent ; on ne regarde plus les continents comme de petites îles et les îles comme de simples points, alors que beaucoup d’entre elles sont réellement plus grandes que bien des royaumes de l’Europe. L’Afrique, l’Amérique septentrionale ou l’Amérique méridionale, voilà des noms sonores et que l’on prononce facilement ; mais ce n’est qu’après