Page:Daudet - Jack, I.djvu/101

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légère, mais le mulâtre y avait mis bon ordre, et, avec une foule de nuances, elle associait, sans trop les faire crier ensemble, ses scrupules d’honnête femme et de commerçante intéressée.

« Jack… Jack… voilà ta mère, » criait-on aussitôt que, le portail ouvert, Ida en grande toilette s’avançait vers le parloir, des petits paquets de gâteaux et de bonbons à la main, dans son manchon. C’était fête pour tout le monde. On goûtait en compagnie. Jack faisait aux « petits pays chauds » une distribution générale, et madame de Barancy elle-même dégantait une de ses mains, celle qui avait le plus de bagues, pour prendre sa part des friandises.

La pauvre créature était si généreuse, l’argent lui glissait si bien dans les doigts, qu’elle apportait toujours avec ses gâteaux toutes sortes de présents, des fantaisies, des jouets distribués autour d’elle au hasard de sa bonne grâce. Vous pensez quelles plates louanges, quelles exclamations de paysans nourriciers accueillaient ces largesses inconsidérées. Seul, Moronval avait un sourire de pitié et comme une contrainte envieuse, à voir la fortune s’en aller ainsi en menue monnaie pour des futilités, quand elle aurait pu venir en aide à quelque esprit élevé, généreux, déshérité, comme lui par exemple.

C’était là son idée fixe, et tout en admirant Ida, tout en écoutant ses histoires, il avait l’air égaré, distrait, ces rongements d’ongles frénétiques, cette fièvre d’agi-