Page:Daudet - Jack, I.djvu/102

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tation de l’emprunteur qui a sa demande au bord des lèvres et vous en veut presque de ne pas la deviner.

Le rêve de Moronval, depuis longtemps, était de fonder une Revue consacrée aux intérêts coloniaux, de satisfaire son ambition politique en se rappelant régulièrement à ses compatriotes, et d’arriver, qui sait ? à la députation. Pour commencer, le journal lui paraissait indispensable, quitte à l’abandonner ensuite.

Il en parlait souvent avec les Ratés, qui tous l’excitaient dans son projet. Ah ! s’ils avaient pu avoir un organe… Tant de copie inédite attendait dans ces cerveaux-là, tant d’idées inexprimées, inexprimables plutôt, et qu’ils se figuraient pouvoir rendre plus claires, grâce à la netteté des caractères d’impression !

Moronval avait un vague pressentiment que la mère du nouveau ferait les frais de cette Revue ; mais il ne voulait pas aller trop vite, de peur d’effaroucher les défiances de la dame. Il s’agissait de l’entourer, de l’envelopper, d’amener la chose de très loin afin que son esprit un peu court eût le temps de la comprendre.

Malheureusement, madame de Barancy, par sa mobilité même, se prêtait mal à ces combinaisons. Sans malice aucune elle détournait, du seul fait de sa naïveté, une conversation qui l’amusait peu, écoutait le mulâtre en souriant, avec des yeux aimables, mais distraits, et d’autant plus brillants qu’ils ne se fixaient sur rien.