Page:Daudet - Jack, I.djvu/138

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l’amour ; mais Jack l’oublia d’abord, la perdit ensuite, moitié par étourderie, moitié par ruse.

Ainsi, pendant que ces deux natures dissemblables s’attiraient l’une l’autre par tous leurs pôles aimantés et contraires, l’enfant se tenait entre elles, défiant, éveillé, comme s’il se doutait déjà qu’il allait se trouver pris, broyé, étouffé dans le choc violent et prévu de leur première rencontre.

Tous les quinze jours, le jeudi, Jack sortait et restait à dîner chez sa mère, quelquefois tout seul avec elle, quelquefois avec « bon ami. » Ces jours-là, on allait au concert, au théâtre. C’était grande fête pour lui et pour tous les « petits pays chauds, » car il revenait toujours les poches pleines, de ces excursions dans la vie de famille.

Un jeudi, en arrivant à l’heure habituelle, Jack vit dans la salle à manger trois couverts mis et un déploiement de cristaux et de fleurs. « Oh ! quel bonheur !… se dit-il en entrant… Bon ami est ici. »

Sa mère vint au-devant de lui, belle, très en toilette, ayant dans ses cheveux des brins de lilas blanc semblables à ceux des corbeilles. Un grand feu doux flambait dans le salon où elle l’entraîna en riant :

— Devine qui est là.

— Oh ! je m’en doute, dit Jack tout heureux… c’est « bon ami !… »

Car ils avaient l’habitude de ces petites scènes, le jeudi, à l’arrivée.