Page:Daudet - Jack, I.djvu/149

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On arriva au bois, déjà vert par places et fleuri. Il y avait des allées dont la cime seule était cendrée de verdure ou rougie de séve, ce qui donnait aux branches toutes noyées de soleil un aspect vaporeux. Les diverses essences d’arbres, plus ou moins précoces, passaient du vert tendre des pousses nouvelles au vert permanent des arbustes d’hiver. Des houx, qui avaient porté la neige sur leurs feuilles raides et crispées, frôlaient des lilas en bourgeons, tout frileux encore et défiants.

La voiture arrêtée au restaurant du Pavillon, pendant qu’on préparait le déjeuner madame de Barancy descendit avec les enfants pour faire le tour du lac. À cette heure matinale, les longues promenades de l’après-midi et tous ces reflets mondains de cochers poudrés, galonnés, de chevaux empanachés, d’essieux éclatants, ne le troublaient pas encore.

Il avait gardé de la nuit une fraîcheur légère qui montait en buée dans la lumière. Des cygnes nageaient, des tiges d’herbes se miraient dans cette eau limpide à qui l’ombre, le silence, la solitude, semblaient avoir refait une vraie physionomie d’eau vivante ; elle avait des rides, des frissons, des montées de sources qui éclataient à la surface en bulles claires et bouillonnantes. Au lieu de cette nappe immobile qui semble un miroir aux modes nouvelles et aux vanités de Paris, le lac osait redevenir un lac, des ailes le traversaient, des nageoires l’agitaient en dessous, et les saules frangés du vert des