Page:Daudet - Jack, I.djvu/15

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trop au courant du monde, il connaissait trop bien la haute société parisienne et toutes ses nuances de langage et de tenue, pour ne pas avoir deviné dans la mère du nouvel élève qui lui arrivait une cliente d’un genre particulier.

L’aplomb avec lequel elle était entrée dans son cabinet, aplomb trop visible pour être vrai, sa façon de s’asseoir en se renversant, ce rire jeune un peu forcé qu’elle avait, et surtout ce flot de paroles débordantes sous lequel on aurait dit qu’elle dissimulait l’embarras d’une pensée cachée, tout mettait le prêtre en méfiance. Malheureusement, à Paris, les mondes sont si mêlés, la communauté des plaisirs, des toilettes, des promenades, a fait la ligne de démarcation si mince et si facilement franchie entre les femmes à la mode de la bonne et de la mauvaise société, entre une lorette qui se tient et une marquise qui s’abandonne, que les plus experts, à première vue, peuvent s’y tromper ; et voilà pourquoi le prêtre considérait cette femme avec tant d’attention.

Ce qui déconcertait surtout son examen, c’était le décousu de la conversation. Comment avoir le temps de se reconnaître au milieu de ces caprices, de ces volte-face, de ces bonds d’écureuil en cage ? Pourtant son jugement, qu’on essayait peut-être de dérouter, était déjà à moitié fait. L’attitude embarrassée de la mère, quand il lui demanda quel était avec Jack l’autre nom de l’enfant, acheva de le fixer.