Page:Daudet - Jack, I.djvu/180

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ble, un jour de fond de jardin à l’heure du crépuscule.

Maintenant la nuit est venue. Dans le chenil silencieux et noir dont les enfants ont refermé la porte en sortant, la flamme du foyer brille, se reflète, s’allonge dans tous les coins comme si elle cherchait quelqu’un qu’elle ne retrouve plus. Elle allume d’un éclair les vitres entassées, plonge jusqu’au fond des vases à fleurs, grimpe le long des vieux treillages appuyés au mur, s’agite, court sans cesse, ne trouvant rien, toujours rien. Elle se promène sur le lit en fer, sur cette petite casaque rouge dont les manches s’allongent paisiblement dans une attitude de repos. Mais il paraît que là encore il n’y a plus rien, car la flamme continue à courir au plafond, sur la porte, à rôder, à frémir, jusqu’au moment où lasse, épuisée, découragée, comprenant que le feu est inutile, qu’elle n’a plus personne à réchauffer ici, elle rentre dans les cendres et s’éteint, elle aussi, comme le petit roi frileux qui l’avait tant aimée.

… Pauvre Mâdou ! L’ironie de son destin le poursuivant jusque dans la mort, le maître de pension hésita longtemps s’il fallait l’enterrer comme un domestique ou comme une Altesse royale. D’un côté se présentait la question d’économie, de l’autre un intérêt de réclame et de vanité qui l’emporta. Après beaucoup d’indécision, Moronval se dit qu’il fallait frapper un grand coup et que, le petit roi n’ayant pas rapporté de son vivant tout ce qu’on en attendait, il était juste de profiter de sa mort.