Page:Daudet - Jack, I.djvu/192

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cherche de Mâdou. Le chemin n’était pas difficile, on n’avait qu’à gagner la Seine et à la suivre en remontant toujours. C’était loin, par exemple, oh ! bien loin ; mais la peur de retomber aux mains du mulâtre lui fit arpenter rapidement la distance. À chaque instant une transe nouvelle le forçait à hâter le pas. Tantôt c’étaient les grandes ailes du chapeau de Moronval, dont l’ombre semblait passer sur un mur, tantôt une marche pressée qui s’acharnait derrière lui, sur ses talons. Le regard inquisiteur des sergents de ville le terrifiait ; et dans les mille cris de Paris, dans le roulement de ses voitures, les conversations des passants, ce souffle haletant d’une grande ville active, il croyait toujours entendre ce mot mille fois répété : « Arrêtez-le… arrêtez-le… » Pour échapper à ces obsessions, il descendit au long de la berge et se mit à courir de toutes ses forces sur le pavé étroit et net qui borde l’eau.

Le jour finissait. Le fleuve, très lourd, très haut, et jaune de toutes les pluies tombées, se heurtait pesamment aux arches des ponts où luisaient de gros anneaux de fer. Le vent soufflait, promenant les derniers rayons du couchant. Tout s’animait de la hâte où meurent nos journées de Paris, si pressées et si pleines. Les femmes sortaient des lavoirs, chargées de paquets de linge mouillé, toutes plaquées de ces teintes sombres que l’eau éclabousse sur les maigres étoffes rapidement pénétrées. Des pêcheurs à la ligne