Page:Daudet - Jack, I.djvu/193

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

remontaient avec des gaules, des paniers, frôlant des chevaux qu’on ramenait de l’abreuvoir. Les tireurs de sable attendaient à la porte de ces petits bureaux où l’on solde leur paye ; et toute une population riveraine, des mariniers, des débardeurs avec leurs dos voûtés, leurs capuchons de laine, circulait sur le bord, mêlée à une autre race, louche et terrible, rôdeurs de rivière, pilleurs d’épaves, écumeurs de la Seine, capables de vous tirer de l’eau pour quinze francs et de vous y jeter pour cent sous. De temps en temps, parmi ces hommes, quelqu’un se retournait pour voir passer cette petite tunique de collégien qui se hâtait si fort et paraissait si menue dans le paysage grandiose des bords de la Seine.

À chaque pas, la physionomie de la berge changeait. Ici elle était noire, et de longues planches flexibles la reliaient à d’énormes bateaux de charbon. Plus loin, on glissait sur des pelures de fruits ; un goût frais de verger se mêlait à l’odeur de la vase, et, sous les grandes bâches entr’ouvertes, de nombreuses barques amarrées, des amoncellements de pommes gardaient le vif, l’éclat de leurs couleurs campagnardes.

Tout à coup on avait l’impression d’un port de mer ; c’était un encombrement de marchandises de toutes sortes, de bateaux à vapeur aux tuyaux courts, vides de fumée. Cela sentait bon le goudron, la houille, le voyage. Ensuite, l’espace se resserrant, un bouquet de grands arbres baignait dans l’eau de vieilles racines et