Page:Daudet - Jack, I.djvu/208

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Allons, bonsoir, lui crièrent ses amis.

Il répondit « bonsoir » d’une voix étranglée par les larmes ; et la voiture, laissant la direction de Lyon, prit sur la droite un chemin bordé d’arbres, dessinant avec ses lanternes un grand circuit lumineux dans le noir de la plaine.

Alors il lui vint la folle pensée qu’il pourrait peut-être rejoindre cette lueur protectrice, s’y maintenir, la suivre en courant. Il s’élança derrière elle avec une sorte de rage ; mais ses jambes, que le repos avait rendues plus faibles, comme la lumière avait fait ses yeux plus aveugles aux voiles accumulés de l’ombre, refusaient tout service.

Au bout de quelques pas, il fut obligé de s’arrêter, essaya de courir encore, et finit par tomber épuisé avec une crise, un flot de larmes, pendant que la voiture hospitalière continuait paisiblement sa route, sans se douter qu’elle laissait derrière elle un si profond et si complet désespoir.

Le voilà couché au bord du chemin. Il fait froid, la terre est humide. N’importe ! La fatigue est plus forte que tout. Autour de lui, il sent l’immensité des champs. Le vent a cette haleine longue dont il parcourt les grands espaces, terre ou mer, et peu à peu tous les souffles de la plaine, frôlement d’herbes, craquements de feuilles, confondus dans un immense roulis de soupirs et de sons enveloppent l’enfant, le bercent, l’apaisent et l’endorment profondément.