Page:Daudet - Jack, I.djvu/389

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beau de votre part d’aider à tromper ce brave homme ?

La face terreuse du camelot devint pourpre.

— Voilà une mauvaise parole, M. Jack. Je n’ai jamais trompé personne, et tous ceux qui ont connu Bélisaire pourront vous le dire. On me donne des papiers à porter, je les porte, n’est-ce pas ? Ce sont mes petits bénéfices, et, nombreux comme nous sommes à la maison, je n’ai pas le droit de les refuser… Songez donc ! J’ai le vieux qui ne travaille plus, les enfants à élever, le mari de ma sœur qui est malade. Tout ça n’est pas commode, allez ! Et l’argent est bien dur à gagner… Quand je pense que depuis si longtemps que je trime, je n’ai pas encore pu arriver à me faire faire une paire de souliers à ma convenance, et que je marche par les routes avec ceux-là, qui me font tant souffrir. Bien sûr que si j’avais voulu tromper le monde, je serais plus riche que je ne suis.

Il avait un air si honnête, si convaincu en parlant ainsi, qu’on ne pouvait vraiment pas lui en vouloir. Jack essaya de lui faire comprendre son tort. Peine perdue. « Ses petits bénéfices… Les enfants à nourrir… Le vieux qui ne travaillait plus. » Fort de ces arguments, Bélisaire n’en cherchait pas d’autres. Évidemment, sa probité n’était pas la même que celle de Jack. Il était honnête sans nuances, sans délicatesse, comme on l’est dans le peuple où la distinction des sentiments, les scrupules de conscience ne se rencontrent qu’exceptionnellement, ainsi qu’une fleur rare