Page:Daudet - Jack, I.djvu/392

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à coup se tirait la langue avec un désespoir comique. La pauvre fille ne s’illusionnait pas sur elle même.

« Je sais bien que je suis laide, disait-elle, et que M. Mangin ne me prend pas pour mes beaux yeux. Mais ça ne fait rien. Qu’il me prenne d’abord. Je me charge bien de me faire aimer ensuite. »

Et la bonne créature avait un petit mouvement de tête, un sourire de satisfaction intérieure, car elle seule savait les provisions de tendresse, de patience, d’abnégation que trouverait celui qui dormirait sur son cœur. L’idée fixe de ce mariage, l’angoisse de savoir s’il se ferait, la joie de la certitude une fois l’affaire conclue et la date prise, avaient détourné sa surveillance active. D’ailleurs, le Nantais n’habitait plus Indret. Et puis Clarisse, en cette occasion, s’était montrée si bonne, que Zénaïde en avait un peu oublié ses soupçons. Que voulez-vous ? Avant d’être fille, on est femme. Parfois, en cousant son trousseau, sa robe de noce qu’elle faisait elle-même, il lui venait subitement des élans de reconnaissance ; elle laissait là son dé, ses ciseaux, bondissait parmi les étoffes blanches, jusqu’à sa belle-mère.

— Oh ! maman… maman…

Et elle l’embrassait, la serrait contre sa poitrine, au risque de la piquer, car son corsage était de plus en plus bardé d’épingles et d’aiguilles dans ce coup de feu terrible de tous ses talents de couturière. Elle ne voyait pas la pâleur de Clarisse ni son trouble. Elle