Page:Daudet - Jack, II.djvu/130

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allumé, Charlotte debout, et près du feu les restes d’un de ces repas dévorés à la hâte comme les départs et les arrivées en improvisent devant leurs émotions.

Elle vint à lui, tout agitée :

— Chut ! ne fais pas de bruit… Il est là… Il dort. Oh ! que je suis heureuse.

— Qui ? quoi ?

— Mais Jack ! Il a fait naufrage. Il est blessé. Son navire perdu. On l’a sauvé, lui, par miracle. Il arrive de Rio-Janeiro, où il a passé deux mois à l’hôpital.

D’Argenton eut un sourire vague qui pouvait, à la rigueur, passer pour une preuve de satisfaction. Il faut lui rendre cette justice qu’il prit la chose très-paternellement et fut le premier à déclarer qu’on garderait Jack à la maison jusqu’à ce qu’il fût complètement rétabli. En conscience, il ne pouvait moins faire pour son principal, son unique actionnaire. Dix mille francs d’actions méritaient bien quelques égards.

La première émotion passée, les premiers jours écoulés, la vie habituelle du poëte et de Charlotte reprit son cours, augmentée seulement de la présence de ce pauvre éclopé dont les deux jambes brûlées par l’explosion d’une chaudière avaient beaucoup de peine à se cicatriser. Vêtu de sa vareuse en laine bleue, la figure encore noire de son ancien métier, les traits grossis, déformés sous une couche de hâle où la petite moustache blonde ressortait avec une couleur d’épi brûlé, les yeux rouges et sans cils, le teint enflammé, les joues creuses,