Page:Daudet - Jack, II.djvu/287

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pressions de « l’Ennemi, » jusqu’à ce sourire en coin, effroi de son enfance persécutée. Jamais sculpteur maniant une glaise docile ne la pétrit mieux que ce faux poëte, tourmenté de domination, n’avait pétri cette fille.

Après le dîner, une de leurs promenades favorites, par ces longues soirées d’été, était le square des Buttes-Chaumont que l’on venait de terminer, square immense et mélancolique, improvisé sur les anciennes hauteurs de Montfaucon, orné de grottes, de cascades, de colonnades, de ponts, de précipices, de bois de pins dégringolant tout le long de la butte. Ce jardin avait un côté artificiel et romanesque qui faisait à Ida de Barancy une illusion de parc grandiose. Elle laissait traîner sa robe avec délices sur le sable des allées, admirait les massifs exotiques, les ruines où volontiers elle eût écrit son nom. Puis quand ils s’étaient bien promenés, ils montaient s’asseoir tout en haut sur un banc dominant la vue admirable que l’on a de ces sommets. Un Paris bleuâtre, noyé de poussière flottante et de lointain, s’étendait à leurs pieds. Une cuve gigantesque, surmontée de buées chaudes, de rumeurs confuses. Les collines qui entourent les faubourgs formaient dans cette brume comme un cercle immense, que Montmartre d’un côté, le Père-Lachaise de l’autre, rejoignaient à l’ancien Montfaucon.

Plus près d’eux, ils avaient le spectacle de la joie populaire. Dans les allées tournantes, entre les quinconces du jardin, les petits boutiquiers en grande